Mots-clés : transition énergétique, agriculture, énergies renouvelables, pratiques agricoles, paysage agricole
Résumé : Ce travail aborde les relations qui lient la transition énergétique aux paysages agricoles à travers les changements de pratique des exploitations ayant adopté une activité de production d’énergie renouvelable (EnR). Plutôt que d’étudier les impacts matériels directs des convertisseurs énergétiques sur les paysages agricoles, il s’agit ici de s’intéresser aux modifications indirectes que la production d’EnR provoque sur le paysage, ceci à travers l’arbitrage que fait l’exploitant entre son activité agricole et son activité de producteur d’énergie. Par l’intermédiaire d’une enquête réalisée en territoire rural des Mauges, nous essayons de comprendre si certaines conditions de revenu et de travail favorisent un abandon progressif de la production agricole au profit de la production énergétique, ou encouragent des modifications de pratiques qui influenceraient les paysages agricoles. Dans ce travail, nous nous intéressons particulièrement aux éoliennes, aux panneaux solaires et aux méthaniseurs pour leur rôle clé dans la transition énergétique, pour leur déploiement à grande échelle et pour leur porosité avec le monde agricole.
Il n’y a pas de transition énergétique[1] à proprement parler. L’avènement de nouveaux moyens de production d’énergie n’efface pas les anciens. Ils co-évoluent, ils s’additionnent, ils ne se remplacent pas ou du moins pas entièrement. L’histoire de l’énergie n’est pas une histoire de transitions mais d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire (Fressoz, 2014) et de nouveaux convertisseurs énergétiques. La course à la production d’énergie renouvelable entraine l’apparition de nouvelles structures dans nos paysages qui animent la société au point de susciter des débats nationaux. Ces oppositions s’expliquent notamment par la fin de l’invisibilisation du processus de production. Le redéploiement de la production d’énergie dans nos paysages est à l’initiative de différents groupes d’acteurs, dont les agriculteurs font partie et représentent une part non négligeable. Ce travail de recherche s’intéresse à ce groupe socio-professionnel et à son rapport avec la production d’énergies renouvelables.
[1] Dans ce travail de recherche, nous emploierons ce terme à de nombreuses reprises car il est communément compris. Lorsque employé, il désignera les transformations énergétiques contemporaines liées à l’avènement des nouveaux convertisseurs d’énergie
Nous nous intéresserons particulièrement aux éoliennes, aux panneaux solaires et aux méthaniseurs pour plusieurs raisons : leur porosité avec le monde agricole, le manque de recul qui interroge et leur déploiement à grande échelle. Leur visibilité matérielle a des incidences paysagères directes, mais aussi indirectes, notamment par la modification des pratiques agricoles que ces nouvelles sources de revenus induisent. C’est ce second point qu’il s’agira d’analyser.
Ainsi, nous nous intéresserons aux exploitants agricoles ayant un lien avec ces nouveaux convertisseurs pour tenter de comprendre si et comment leurs activités évoluent du fait de leur activité énergétique. Nous essaierons alors de répondre à la problématique suivante : Dans quelles mesures les modifications des pratiques agricoles induites par l’engagement des agriculteurs dans une démarche de production énergétique déconcentrée donnent-elles lieu à des modifications visibles dans le paysage agricole ?
Le terme de « production énergétique déconcentrée » est utilisé en opposition à la « production énergétique concentrée » dont la production est indépendante du lieu de la source d’énergie. Dans cette recherche, le terme désignera les convertisseurs d’énergies renouvelables que sont les éoliennes, les panneaux solaires et les méthaniseurs ; les convertisseurs étant les machines transformant la source d’énergie en énergie utilisable par l’Homme, et les « énergies renouvelables » ou EnR désignant l’ensemble des énergies autres que fossiles (charbon, pétrole, gaz et nucléaire), dont on peut être assuré d’un approvisionnement quasi[2] infini tant que le changement climatique n’en modifie pas les conditions d’exploitation en un sens plus restrictif (Allemand et al., 2021).
[2] « quasi » car il faut bien prendre en compte les matériaux associés à la réalisation des convertisseurs, de sorte que les enjeux d’approvisionnement et de recyclage demeurent
Pour répondre à la problématique, il faut comprendre l’arbitrage que fait l’exploitant entre son activité agricole et son activité de producteur d’énergie, comprendre si certaines conditions de revenu et de travail favorisent un abandon progressif de la production agricole au profit de la production énergétique, ou encouragent des modifications de pratiques qui influenceraient les paysages agricoles.
Nous reviendrons premièrement sur les liens entre énergie et paysage pour arriver à comprendre d’où viennent les nouveaux convertisseurs énergétiques et comment ils peuvent transformer les paysages agricoles, avant de nous intéresser spécifiquement à un territoire concentrant de nombreuses initiatives en matière d’énergie et auquel deux parties seront consacrées, l’une s’occupant de relayer les faits d’enquêtes qui seront analysés dans l’autre dans le but de répondre à la problématique.
Cette partie se divisera en trois sous-parties. La première sous-partie aura pour but de replacer les convertisseurs d’énergie et leurs paysages dans un contexte temporel plus large afin de comprendre leurs mutations matérielles récentes, en guise de base à une seconde sous-partie qui introduira leur porosité avec le monde agricole et le rôle des agriculteurs dans la « transition énergétique ». Enfin, une troisième sous-partie permettra d’expliciter la problématique en tissant le lien avec les paysages agricoles.
Nous allons revenir ici sur certains épisodes de l’histoire de l’énergie, ou plus précisément sur l’histoire des convertisseurs énergétiques et de leurs paysages, afin de comprendre pourquoi on assiste à l’émergence d’une production d’énergie déconcentrée sur le territoire français après une période de concentration qui tendait à invisibiliser le processus de transformation.
Il faut commencer par rappeler la relation indissociable qui lie énergie et paysages : « l’énergie n’est pas une ressource comme une autre, mais la ressource de la ressource, c’est-à-dire l’une des matrices mêmes des systèmes territoriaux et, par conséquent, des paysages » (Briffaud, 2014).
Par le passé, chaque nouvel emploi d’énergie ou chaque innovation technologique liée à l’énergie s’est accompagnée de son lot d’équipements et d’infrastructures nécessaires à sa production, extraction et/ou transformation, mais aussi à son acheminement : l’infrastructure d’un barrage d’une centrale hydraulique s’accompagne de pylônes et de lignes électriques pour acheminer l’électricité aux consommateurs finaux. L’infrastructure et son réseau d’acheminement ne manquent pas alors de faire paysage, et c’est encore plus évident quand on s’occupe des effets en cascade : par exemple, l’énergie fossile qui alimente la voiture à essence produit ses propres paysages, on pense notamment aux plateformes pétrolières offshore pour l’extraction ou aux raffineries pour la transformation, mais elle est aussi la cause du déploiement d’un réseau routier et autoroutier dont l’impact sur les paysages est évident. Il en va de même pour la machine à vapeur et les lignes ferroviaires. Les exemples sont nombreux et permettent d’affirmer que les paysages sont aussi l’expression des systèmes énergétiques (Allemand et al., 2021).
Dans l’avant-propos du livre Paysages et énergies, une mise en perspective historique, le paysagiste-urbaniste Bertrand Folléa souligne que les paysages sont aussi la cause et n’ont pas qu’une résultante passive des équipements qui permettent la production, le transport ou la consommation des énergies :
Les paysages portent leurs ressources, imposent leurs reliefs et leurs sols, étendent leurs zones humides et leurs plaines, offrent leur climat et leur végétation ; ils sont tissés de la trame du vivant, à la fois délicate et dynamique, qui rend la captation des énergies et leur transformation sensibles aux milieux et à leurs relations écologiques et sociales pour le vivant dans son ensemble, qu’il soit humain, animal ou végétal
(Allemand et al., 2021).
L’histoire des rapports entre paysages et énergies se construit en couches qui tendent à s’empiler les unes sur les autres sans vraiment se remplacer complètement, la plupart du temps. Ainsi, l’ancien et le moderne cohabitent et les innovations techniques ne s’appliquent pas qu’à des moyens de production modernes, elles peuvent aussi trouver des applications dans des dispositifs anciens, comme c’est le cas de la turbine que l’on retrouve dans les centrales hydroélectriques mais qui ont permis aux moulins à eau de se moderniser (Allemand et al., 2021) : l’apparition des centrales hydroélectriques n’a pas effacé les moulins à eau du paysage.
Chaque énergie est riche de son histoire et produit des paysages au pluriel. On peut parler de paysages miniers, de paysages du pétrole, de paysages de l’électricité, de paysages du nucléaire, et, là encore, à chaque fois au pluriel car la manifestation paysagère d’une source d’énergie varie dans le temps et dans l’espace : les paysages du temps de la Fée électricité, c’est-à-dire des débuts de l’électrification des villes n’ont guère à voir avec les paysages de l’électricité du temps des centrales nucléaires (Allemand et al., 2021).
La première énergie maîtrisée par les hominidés, outre leur propre énergie, est le feu. Il est utilisé pour se chauffer, s’éclairer, chasser, se protéger ou transformer la matière vivante ou minérale. Dès le néolithique, les feux participent d’une technique agricole qu’est l’abattis-brûlis, encore pratiqué aujourd’hui dans des régions d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie du Sud-Est (Ferault et Le Chatelier, 2012). Le feu est le résultat mais, pour le produire et l’entretenir, différentes techniques sont déployées pour se procurer la matière première (bois, paille, tourbe…) avec des conséquences sur le paysage proche des lieux d’utilisation du feu.
Plus tard et concomitamment au feu, la force animale utilisée par l’Homme dans son travail ou dans ses déplacements viendra avec son lot de transformations sur le paysage, que ce soit par la présence même des animaux ou par l’ensemble des bâtiments et infrastructures nécessaires à leur élevage. Au XIXe siècle, on comptait un cheval pour dix habitants, soit dix fois plus qu’aujourd’hui, dont les quatre cinquièmes vivaient à la campagne. Comme le bœuf et le mulet, il est considéré comme une source d’énergie et sert au déplacement sur de longues distances, participant ainsi à une géographie des foires et des marchés. La ville sera en partie construite, modifiée ou pensée en fonction de son usage, faisant du cheval un des critères de l’aménagement urbanistique (Roche, 2015).
Là encore, la source d’énergie qu’est le cheval modifie le paysage au plus proche de son lieu d’utilisation. Il n’y a pas de concentration possible quand la source d’énergie est faible et que les moyens de l’acheminer rapidement à distance sont inexistants. Ainsi, l’énergie est convertie là où est sa source et modifie le paysage localement. L’illustration de ce propos est résumée remarquablement par Bertrand Folléa dans le livre de Sylvain Allemand :
En remontant dans l’histoire, on constate à quel point la production d’énergie a fait partie du paysage le plus familier : depuis le XIIIe siècle, tous les bords de rivières favorables aux moulins à eau ont été aménagés, jusqu’au cœur des bourgs et des villages ; depuis le XVIe, tous les points hauts et ventés ont été piqués de moulins à vent, jusqu’aux remparts des villes. Jusqu’au XXe siècle, le premier et principal réseau de chaleur consistait à vivre au plus près des bêtes en plaçant l’étable contre les pièces à vivre. Partout la force animale des bœufs, des chevaux, des ânes et des mulets était convoquée pour les travaux des villes et des champs, le charroi des productions, le transport des personnes. A cette omniprésence visuelle et animée des énergies, ou plus précisément de leurs convertisseurs, s’ajoutaient les activités quotidiennes d’aménagement et de gestion pour parvenir à les utiliser : couper et ramasser le bois, entretenir le feu, nourrir et conduire les animaux, porter les produits au moulin, dériver et canaliser l’eau, mettre en marche et arrêter les machines, et bien sûr cultiver et élever pour manger. L’industrie était partout, et le paysage partout façonné par et pour l’énergie, bien avant les révolutions industrielles : dans les campagnes comme dans les villes, à la mer comme à la montagne, pour profiter au mieux du bois ou des moteurs à eau qu’offraient les ressauts aménagés des rivières, les chutes des torrents, le jeu biquotidien des marées : moulins céréaliers, moulins de pompage, moulins à foulon pour l’industrie du drap, moulins à papier, scieries, moulins à poudre, forges pour la sidérurgie…
(Allemand et al., 2021)
Vient alors une première révolution industrielle avec l’invention des machines à vapeur qui vont décupler la consommation de la houille (charbon) à partir du XVIIIe siècle. La houille fournit de l’énergie sous forme mécanique, calorifique et lumineuse à l’industrie et, pour ces deux dernières, aux ménages. Cependant, en France, elle fait l’objet d’importations massives car elle est plus difficile à extraire que dans d’autres pays industrialisés comme l’Angleterre, l’Allemagne ou la Belgique. Ainsi, malgré des conséquences paysagères spectaculaires dans les bassins miniers, dont l’exemple le plus typique est le bassin minier du Nord-Pas de Calais avec l’invention des corons, ces modifications n’en restent pas moins limitées à ces bassins et aux réseaux de chemins de fer. En 1880, la moitié de l’énergie utilisée par l’industrie était encore de nature hydraulique (Allemand et al., 2021). Il n’y a donc pas de concentration de la production d’énergie suffisante pour bouleverser en profondeur la physionomie des paysages.
Concernant l’électricité, on peut dire que, à ses débuts vers 1880, elle ne révolutionne pas les paysages mais relégitime les forces naturelles comme le vent et les marées en convertissant leur énergie cinétique en énergie électrique via l’ajout d’un moteur électrique ou d’une turbine. Cela se traduit notamment par l’apparition et la multiplication d’usines hydroélectriques en montagne, l’électricité fournie par les chutes d’eau étant dès lors appelée « houille blanche » par opposition au charbon de couleur noire. Dès le début des années 1880, on parvient à consommer cette énergie au-delà de ses lieux de production, et son caractère national et illimité lui confèrent un statut de modernité (Marrec, 2018).
Cela ne signifie pas que les chantiers d’aménagement se font sans opposition et il ne faut pas minimiser le rôle que va jouer l’exploitation de la ressource hydroélectrique dans l’histoire des paysages, et particulièrement dans l’histoire des politiques du paysage, comme le montre l’étude de cas des Pyrénées centrales faite par Emmanuelle Heaulmé, dans laquelle on constate comment ont émergé des conflits paysagers à l’origine d’un débat national et la volonté de préservation des paysages au courant du XXe siècle (Heaulmé, 2014).
Cependant, le propos n’est pas ici de faire une histoire exhaustive de l’énergie et du paysage, mais de réussir à séparer les bouleversements que provoquent les nouvelles énergies à l’échelle locale de ceux qui ont transformé nos paysages en profondeur, afin d’introduire le contexte de l’arrivée des énergies dites renouvelables. Ainsi, les aménagements spectaculaires de l’exploitation hydroélectrique en montagne auront des conséquences majeures sur les paysages montagnards, « du double point de vue des mutations de leur structure matérielle et de la perception de leur valeur » (Briffaud, 2014), mais les répercussions nationales sont à minimiser par rapport aux changements à venir.
En effet, jusqu’au milieu du XXe siècle, c’est-à-dire 150 ans après les débuts du charbon et 70 ans après les débuts de l’électricité, les paysages agricoles perdurent dans leurs formes traditionnelles. Le pétrole et l’électricité de la seconde révolution industrielle sont présents sur le territoire français, mais ce n’est que lorsqu’ils vont se généraliser qu’ils vont bouleverser les paysages français :
En dehors des quelques champs pétrolifères exploités en France, avec leurs équipements caractéristiques, les paysages du pétrole, ce sont aussi les infrastructures destinées à sa transformation (raffineries), son acheminement (oléoducs, ports…) et à sa consommation, le règne de la voiture et, avec lui, la construction d’autoroutes, de voies rapides, de parkings, de nouvelles formes d’urbanisation (le périurbain), la société de consommation avec ses grandes surfaces construites en périphérie des villes… […] Mais le pétrole, c’est aussi une transformation en profondeur du monde agricole et de ses structures paysagères, sous l’effet d’une mécanisation accélérée et de l’introduction d’intrants chimiques dérivés de l’or noir… Nulle autre source d’énergie n’aura transformé autant les paysages en général et agricoles en particulier où les bouleversements sont multiples et inscrits dans la durée : arrachage des haies, disparition des arbres de plein champ, agrandissement des parcelles, monocultures, élevage industriel… Bref, l’usage massif du pétrole entraîne une déstructuration en profondeur de paysages agraires millénaires, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui (érosion et lessivage des sols, pollution des eaux, effondrement de la biodiversité ordinaire, émanation de gaz à effets de serre – CO2, méthane et protoxyde d’azote)
(Allemand et al., 2021).
L’électricité va entrer dans une nouvelle ère, celle de l’énergie atomique qui va se traduire par une contraction sans précédent de l’espace occupé par la production énergétique : « seulement dix-neuf sites répartis dans l’Hexagone suffisent désormais à produire près des trois quarts de l’électricité » (Folléa, 2019). Notons qu’à la fin du XVIIe siècle, « Vauban estimait le nombre de moulins à farine à quatre-vingt mille, dont seize mille moulins à vent, auxquels s’ajoutaient quinze mille moulins industriels et cinq cents usines métallurgiques utilisant l’énergie hydraulique » (Folléa, 2019). Comme souligné précédemment, les difficultés de transport de l’énergie expliquaient la nécessité de la transformer là où elle se trouvait.
Cette concentration de la production d’énergie est le fruit des innovations technologiques, mais elle n’aurait pas pu avoir lieu dans ces proportions sans les interventions politiques du XXe siècle. Durant les décennies 1920 et 1930, « une série de lois facilite le regroupement d’entreprises productrices et distributrices dans une même région, unifie les tarifs de l’électricité, et favorise la construction des réseaux à haute tension et l’interconnexion. » Mais il faut attendre l’après-Seconde Guerre mondiale pour que, « moyennant une réorganisation et l’interconnexion des systèmes électriques régionaux, on parvienne à un système national. Une évolution qui ne repose pas que sur des progrès techniques, mais une volonté politique et la constitution d’une entreprise nationale (EDF en France) » (Allemand et al., 2021).
Les systèmes électriques nationaux incarnent « une double intégration verticale et horizontale, que l’on peut caractériser par : (1) une centralisation du système électrique ; (2) une dissociation entre lieux de production et de consommation ; (3) et un retrait du rôle des territoires devenus simples territoires-supports » (Duruisseau, 2014).
EDF maîtrise alors la quasi-totalité du système énergétique. Pour donner un ordre d’idée, EDF « obtient le monopole, en France métropolitaine, du transport et de la distribution de l’électricité, ainsi qu’une grande partie de la production, par la fusion de 1450 entreprises » (Allemand et al., 2021).
On parle bien de bouleversements récents, ayant eu lieu dans la deuxième moitié du XXe siècle. La tendance est à la concentration et à l’éloignement de la production d’énergie des foyers de consommation, avec une production dominée par le nucléaire en France.
L’émergence d’une transition énergétique et la remise en question de ces modèles de production va pourtant voir le jour suite à la combinaison de plusieurs facteurs. La hausse soutenue de la demande énergétique mondiale est confrontée à au moins deux réalités : d’une part, les énergies fossiles et fissiles qui dominent la production énergétique sont soumises à un processus de raréfaction, ce qui, en dehors de tout autre facteur, oblige à penser une alternative de production si l’on souhaite conserver un niveau de production énergétique équivalent ; d’autre part, le dérèglement climatique qui remet en cause les moyens de produire de l’énergie, néfastes pour l’environnement, et la quantité d’énergie produite elle-même, une partie croissante de la population appelant à plus de sobriété.
La remise en cause de la durabilité du système énergétique, entre autres, naît progressivement à travers divers évènements que nous ne ferons que citer ici, tout en signalant qu’ils ne constituent pas une liste exhaustive. Ainsi, citons : la conférence de Stockholm de 1972, les chocs pétroliers de fin 1973 - début 1974 et de 1979-1981, la conférence de Rio de 1992 et l’émergence du concept de développement durable. On peut dire que ces évènements amorcent la transition énergétique, diffusant un ensemble de problèmes et d’alternatives au sein des populations, se répercutant au niveau politique. C’est dans ce contexte de plusieurs décennies de conscientisation des problématiques liées au développement que le Grenelle de l’environnement a lieu en France en 2007 et marque l’entrée dans une transition énergétique se traduisant par les lois Grenelle 1 et 2 adoptées respectivement en 2009 et 2010 et à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée en octobre 2014. La loi Grenelle 1 vise à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, déclinée dans la loi Grenelle 2 par un objectif central de réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre pour 2020, puis une confirmation et des précisions apportées par la loi de transition énergétique pour la croissance verte avec une attente au niveau nationale du développement des énergies renouvelables pour atteindre une part de 32% dans la consommation énergétique finale en 2030 (ADEME)[1].
[1]Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et solidaire et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
C’est dans ce contexte national et global que se déploient les énergies renouvelables (EnR) qui nous intéressent dans ce présent mémoire. Elles nous intéressent parce que les nouvelles technologies qui les exploitent s’installent rapidement à travers le territoire, à contre-courant du phénomène de contraction qui s’opérait depuis plus d’un demi-siècle. Les technologies de conversion de ces EnR présentent un faible rendement comparativement aux énergies dominantes, et les sources d’énergie ont un caractère intermittent qui fait que la capacité de production installée n’équivaut pas à la production réelle. Ces facteurs, auquel il faut ajouter le problème de l’absence de système de stockage de l’énergie, impliquent le déploiement à grande échelle de ces convertisseurs (éoliennes, panneaux solaires, méthaniseurs…) pour répondre à la demande de consommation et à l’objectif fixé dans la loi de 2014 mentionnée au paragraphe précédent. En fait, la puissance produite par ces nouvelles technologies redevient proportionnelle à la surface de production, le déploiement entrant ainsi en concurrence avec les activités anthropiques déjà présentes. En outre, la production est tributaire de ressources réparties inégalement sur le territoire. Ainsi, cela explique que, bien que la production d’énergie redevienne plus visible localement, les aires de production ne sont pas pour autant les mêmes que les aires de consommation (Duruisseau, 2014).
Ainsi, pour clore cette première sous-partie, nous citerons de nouveau Bertrand Folléa dans son avant-propos du livre de Sylvain Allemand :
La production de la seconde révolution industrielle s’est en partie effacée de nos vies. Seuls les pylônes et les fils du transport de l’électricité passent dans nos paysages quotidiens. Vus sous cet angle, on comprend mieux les enjeux contemporains de remettre les énergies en visibilité : les énergies renouvelables, exploitant le vent, le soleil, l’eau et la biomasse, sont principalement des énergies du paysage, tandis que les énergies fossiles, extraites loin de nos frontières et transportées par mer ou par oléo et gazoducs, restent aussi souterraines que les forêts d’âge géologique dont elles sont issues. Le changement d’échelle est également frappant, entre les petites unités omniprésentes générant ce paysage familier, et les implantations géantes et rares, éloignés des habitations, créant un paysage spectaculaire de barrages et de lacs hydroélectriques, de centrales nucléaires ou thermiques et de ports méthaniers. Faire revenir la production d’énergie dans le paysage quotidien n’est donc pas le seul enjeu de la transition contemporaine. Il s’agit aussi de combiner ce retour au familier avec la place à donner aux implantations imposantes
(Allemand et al., 2021).
Sans l’avoir occulté, il ne faut pas perdre de vue le fait que les transformations des paysages énergétiques sont à l’initiative d’acteurs individuels, collectifs, institutionnels et/ou politiques, « qui agissent selon des rationalités propres, au nom d’intérêts particuliers ou de l’intérêt général, en fonction des circonstances, de manière pragmatique ou résolue, mais aussi suivant des représentations explicites ou implicites de l’énergie et/ou du paysage » (Allemand et al., 2021).
En outre, comme le souligne Kévin Duruisseau : « la transition énergétique en cours semble réintroduire l’échelle locale. Elle esquisse une nouvelle territorialisation du système électrique dans un contexte d’intégration électrique européenne. Cette réinscription à l’échelle locale, caractéristique spécifique des EnR, semble pouvoir faire des acteurs locaux les nouveaux énergéticiens du 21e siècle » (Duruisseau, 2014).
Parmi ces acteurs locaux, les agriculteurs sont parmi les premiers et les plus nombreux à avoir mis en place des énergies renouvelables, que ce soit individuellement ou collectivement. Ils tiennent une place centrale dans ces projets locaux, en tant qu’initiateurs ou acteurs principaux (Dobigny, 2015).
Une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) parue en février 2018 nous éclaire sur la participation du monde agricole à la production d’EnR :
La contribution directe et indirecte de l'agriculture à la production d’EnR a été chiffrée à 20% de la production nationale en 2015 (4,6 Mtep [1] / 23 Mtep d’EnR au niveau national). Avec une consommation de près de 4,5 Mtep/an en 2015, cette évaluation montre que le secteur agricole participe globalement autant à la production d’énergies renouvelables qu’il consomme d’énergie non renouvelable. L’analyse montre que la contribution de l’agriculture à la production d’EnR était en 2015 surtout liée aux biocarburants dont la matière première est essentiellement agricole, puis à l’éolien car les terres agricoles sont largement utilisées pour l’installation d’éoliennes et à la production de biomasse solide malgré la faible part agricole comparée à la biomasse forestière.
[…] Le nombre total d’exploitations agricoles impliquées dans la production d’EnR est estimé à plus de 50 000. Sans surprise, c’est la filière biocarburant qui implique le plus grand nombre d’exploitations agricoles. En deuxième lieu vient l’énergie solaire photovoltaïque avec 11 000 exploitations agricoles (ADEME, 2018). [1] Mégatonne équivalent pétrole
On peut alors se demander comment et pourquoi les agriculteurs se retrouvent liés à ces projets énergétiques, d’autant plus que ces projets comportent un risque économique puisqu’ils ont un coût d’entrée et qu’ils impliquent un investissement à plus ou moins long terme nécessitant une révision de la stratégie de l’exploitation et de sa gestion agricole, mais qu’ils comportent aussi un risque social qui apparaît à travers les différentes controverses que suscitent certains de ces projets (Delhoume et Caroux, 2014).
Comme mentionné dans la sous-partie précédente, la question de la transition énergétique a progressivement atteint la scène politique française en se diffusant notamment par l’intermédiaire du Grenelle de l’Environnement. Le développement des énergies renouvelables est un des leviers d’action permettant d’atteindre les objectifs fixés, objectifs ambitieux qui impliquent de faire appel aux acteurs susceptibles de participer au déploiement national des convertisseurs énergétiques, par leur statut ou par leur activité.
L’agriculture constitue l’un des principaux foyers de biomasse dont la valorisation sous forme de bioénergies est aujourd’hui attendue : biocarburants, méthanisation, chaufferies bois-biomasse. D’autres conditions matérielles sont propices aux énergies renouvelables comme par exemple des terres pour les éoliennes ou des grandes surfaces de toit sur les hangars et bâtiments agricoles pour l’installation de panneaux solaires (Dobigny, 2015).
Le fait que l’agriculture réunisse des conditions matérielles propices à la production énergétique n’explique pas pour autant sa participation, d’autres secteurs ont des conditions similaires mais ne s’impliquent pas dans la transition énergétique (déchets de production valorisables en énergie, surfaces foncières, grandes toitures, etc).
Ce rôle tout à fait précurseur des agriculteurs dans le choix et les installations d’EnR apparaît intimement lié à l’activité agricole en tant que telle, « qui s’inscrit dans une temporalité, un lieu et un rapport à la nature spécifiques, ainsi que dans un rapport particulier au risque, à la technique et à l’innovation » (Dobigny, 2015).
Avant de rentrer plus en avant dans le développement de cette partie, il est important de rappeler que le monde agricole est complexe et hétérogène, et que parler des « agriculteurs » en général pourrait constituer un biais, d’autant plus que la participation à la production d’EnR est très variable selon la filière agricole. Cependant, décortiquer le groupe socio-professionnel des agriculteurs n’est pas le propos ici, et bien qu’il constitue un groupe hétérogène, on observe un certain nombre de valeurs et de pratiques partagées qui permettent de proposer des hypothèses quant à leur participation dans la production d’EnR.
Une première piste de réponse est le rapport du monde agricole à la nature et à l’aléa :
Les EnR inscrivent leur utilisateur dans une certaine dépendance vis-à-vis des phénomènes naturels : la présence de vent ou de soleil (énergies de flux), les cycles de croissance et de renouvellement de la biomasse (énergies de stock telles que le bois), etc. Cet « aléa » de la production énergétique est un frein à la fois pratique (intermittence concrète de la production) et symbolique (dépendance à la nature) à l’adoption des EnR, dans une société qui a justement construit sa modernité sur la libération des contraintes naturelles et climatiques, et ce, tout particulièrement dans la société urbaine (Hervieu, Viard, 2001). Or cette dépendance à la nature et aux conditions météorologiques est inhérente à l’activité agricole. Si elle peut être qualifiée de « société de l’aléa », c’est bien parce que « le monde agricole reste sur ce point largement incertain où la météo décide de l’activité de chaque journée et le climat d’une forte part des résultats du travail des hommes » (Hervieu, Viard, 2000). La modernisation de l’agriculture a certes réduit cette dépendance à la nature, mais elle est loin de l’avoir annulée ; la majorité des agriculteurs ne cultivant pas sous serres et hors sol. Si les EnR font sens, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans la continuité de ce rapport particulier qu’entretiennent les agriculteurs à la nature, qui « travaillent avec elle » (Dobigny, 2015).
Ce rapport particulier à la nature couvre également un rapport particulier au temps. L’activité agricole est rythmée par des cycles saisonniers, annuels voire pluriannuels (sylviculture, élevage), qui l’inscrivent dans le long terme. Il n’est pas rare que les agriculteurs investissent sur plus de vingt ans, pour eux-mêmes ou pour la génération suivante, aujourd’hui encore alors même qu’on assiste à une baisse significative de la transmission familiale au sein des exploitations.
L’agriculteur n’est donc pas un entrepreneur comme les autres, il s’inscrit dans un rapport singulier au temps, à l’espace et à la nature, dans lequel le choix des énergies renouvelables fait sens (Dobigny, 2015).
Cette position est opposée aux caractéristiques de l’idéologie de la modernité que sont l’arrachement aux contraintes de temps, de lieu et d’espace permis par l’usage des énergies fossiles et fissiles, éloignant les lieux d’extraction des lieux de consommation. En ce sens, les EnR partagent un certain nombre de points communs avec le monde agricole en réintroduisant des contraintes que l’agriculteur sait gérer.
Un autre facteur expliquant le rôle des agriculteurs dans la transition énergétique est leur organisation qui leur donne des atouts pour rebondir, à la différence d’autres secteurs sociaux et économiques (Hervieu et Purseigle, 2013).
Les corporations (syndicats, coopératives) mais aussi les formations et organisations professionnelles (lycées agricoles, Chambres d’agriculture, FNGDA – Fédération nationale des groupements de développement agricole, etc.) inspirent, informent, diffusent ou structurent ces projets. Elles sont des passerelles et des supports aux projets EnR collectifs et coopératifs, en présentant ces nouveautés comme des solutions alternatives à des problèmes communs : de nombreux projets EnR collectifs ont émergé de problématiques agricoles et/ou environnementales locales spécifiques (Dobigny, 2015).
Les projets de méthanisation étudiés dans les parties suivantes confirment ce dernier point puisqu’ils sont nés en réponse à des problématiques de captage grenelle et de directive nitrate, les EnR apparaissant en effet comme des solutions alternatives à des problèmes communs.
En plus des corporations et organisations cités précédemment, ce groupe socio-professionnel dispose également d’une « bonne diffusion des informations, innovations et expérimentations (nationales et internationales), à travers une presse spécialisée très abondante et suivie, mais aussi à travers les publications des divers syndicats et organismes professionnels » (Dobigny, 2015).
Ce réseau de liens et d’informations est sans aucun doute un facteur d’explication du rôle central des agriculteurs dans les projets d’EnR.
Enfin, il ne faut pas oublier les contreparties et avantages incitatifs mis en place par les politiques publiques, à travers les subventions par exemple ou les garanties d’achat à prix fixe à long terme. Par exemple, pour un des projets de méthanisation étudié dans ce mémoire, sur les 10 millions d’euros d’investissement requis, 2 millions d’euros de subventions ont été versés, dont 1 million d’euros provenant de l’ADEME. Concernant les garanties d’achat à prix fixe, c’est une incitation forte car elle permet d’avoir un revenu stable voire un complément de retraite loin d’être négligeable dans l’activité agricole où les revenus fluctuent en fonction des prix des matières premières et des aléas climatiques et saisonniers.
En outre, on retrouve beaucoup de projets aidés et soutenus par des élus de manière plus ou moins active. D’ailleurs, dans les petites communes, les fonctions municipales sont rarement exclusives et il n’est pas rare d’avoir un élu agriculteur impliqué financièrement dans un projet d’EnR.
Nous avons, dans la sous-partie précédente, mis en évidence les liens qu’entretiennent les agriculteurs avec la transition énergétique par un de ses développements qu’est la production d’EnR, et les raisons potentielles de leur implication. Nous tenterons, dans la sous-partie présente, de faire le lien entre cette implication et les conséquences sur le paysage, au-delà des impacts visuels évidents qui sont causés par les infrastructures de production elles-mêmes (éoliennes, panneaux solaires, méthaniseurs…), pour aborder plutôt les modifications structurelles du monde agricole qu’engendre cette transition, c’est-à-dire les modifications d’organisation et de comportement des agriculteurs qui, agrégées, mettent en lumière des transformations paysagères à plus grande échelle en cours et à venir.
Le cas de la méthanisation en Allemagne est intéressant pour illustrer le lien entre la production d’EnR et les paysages agricoles. L’Allemagne est le leader mondial dans le domaine de la méthanisation, notamment du fait de la volonté d’abandon du nucléaire qui a conduit à la recherche d’alternatives renouvelables (Weiland, 2013).
Il s’agit en effet de la principale source d’énergie renouvelable fonctionnellement liée à l’activité agricole, loin devant les biocarburants. Les produits utilisés sont, en majorité, issus de l’activité agricole. La filière prend son essor grâce à loi EEG [1] sur les énergies renouvelables de 2000 et avec l’augmentation des tarifs de rachat et des bonifications supplémentaires en 2004. La production électrique issue des unités de méthanisation atteignant environ 25 TWh [2] en 2012 contre environ 11 TWh en 2008 (Jutteau et Lacquement, 2019).
[1] Erneuerbare-Energien-Gesetz
[2] TeraWatt-heure
Cette croissance spectaculaire, sans régulation, a entraîné l’apparition « d’énergiculteurs », pour reprendre le terme de Laure Dobigny, soulevant de vives contestations au sein même du monde agricole dont une part ne souhaitait pas utiliser des denrées alimentaires pour produire de l’énergie et perdre leur rôle nourricier. Le terme d’énergiculteur est pertinent dans le sens où certaines exploitations ont fait de la production d’énergie leur activité principale comme le montrent Paul Jutteau et Guillaume Lacquement dans leur article paru en 2019.
Ainsi, les paysages agricoles allemands se sont vus modifiés avec l’apparition de cultures de plantes énergétiques pour la production de biogaz, dominée par la production de maïs dont la préférence repose sur plusieurs facteurs : un rendement élevé en biogaz par tonne et par hectare, une utilisation réduite de produits phytosanitaires en comparaison avec le blé ainsi qu’une technique bien établie pour la récolte et le stockage (Weiland, 2013).
Ainsi, en 2011, 800 000 hectares étaient consacrés à la culture de plantes énergétiques, soit environ 4% de la surface agricole exploitée. L’ampleur du phénomène a conduit à un amendement de l’EEG en 2012, réduisant l’utilisation de maïs à 60% maximum des intrants de substrat. C’est ainsi que des plantes comme la betterave sucrière ont pris de l’ampleur, offrant un potentiel de rendement énergétique par hectare similaire à celui du maïs (Weiland, 2013).
Ces évolutions à partir des années 2000 ont soulevé des oppositions concernant la modification des paysages et le leurre environnemental des cultures de maïs, notamment de la part d’associations de protection de l’environnement : les cultures de maïs sont critiquées pour leur intensité en termes de travail du sol et d’usage d’intrants, mais aussi pour l’érosion des sols qu’elles provoquent ou leur menace pour certains animaux. Elles modifient en profondeur les paysages agraires, donnant lieu à des monocultures de maïs ou « Vermaisung [3] ». Ainsi, des oppositions concernant les méthaniseurs ont émergé, notamment sur les unités de grandes tailles centrées sur les cultures énergétiques et dont les aires d’approvisionnement se font sur de plus longues distances (Jutteau, 2018).
[3] Néologisme dédié au phénomène qui pourrait être traduit par « maïsification »
En plus de la limitation en 2012 de l’utilisation de maïs à 60% des intrants de substrat, les bonifications mises en place en 2004 et précédemment citées ont été supprimées en 2014, freinant ainsi la production électrique qui n’a augmenté que d’environ 5 TWh entre 2012 et 2018 atteignant ainsi 30 TWh (Jutteau et Lacquement, 2019).
Le cas allemand est assez représentatif des liens entre ces nouvelles énergies et le paysage agricole. Sans garde-fou, ce dernier se voit transformé en profondeur par des cultures à haut rendement énergétique, nécessitant même l’invention de nouveaux mots pour désigner l’ampleur du phénomène, comme le néologisme « Vermaisung » mentionné précédemment.
Plus que ces phénomènes spectaculaires car se déroulant sur un temps plutôt court, d’autres phénomènes sous-jacents ont lieu mais sont moins visibles car ils se déroulent sur des périodes de temps plus longues et leurs causes sont complexes et indirectes.
Nous allons voir que la production d’EnR n’est pas donnée à tous les agriculteurs, et que cet accès restreint tend à évincer les petites exploitations qui n’arrivent pas à suivre le mouvement, les faisant par là même s’effacer partiellement du paysage au profit d’exploitations toujours plus grandes.
En effet, l’activité de production d’EnR est une source de revenus complémentaires et apparaît comme un facteur de stabilité face aux fluctuations des prix agricoles mais cette activité nécessite un investissement financier qui fait que l’accès aux revenus qu’elle peut générer n’est pas donné à tout le monde. L’étude de l’ADEME nous éclaire à ce sujet :
La figure 1 nous renseigne sur les disparités qui touchent le monde agricole dans la production d’EnR. C’est un aperçu immédiat qui témoigne des différences de participation par filière, avec une production dominée par les grandes cultures.
Nous allons essayer d’éclairer les raisons potentielles de ces différences en nous basant sur une enquête menée par quatre chercheurs de l’université de Caen au sein de quatre départements de l’ouest de la France (Orne, Mayenne, Manche et Sarthe) « à partir de la constitution d’un échantillon de 75 exploitations agricoles représentant la diversité de l’agriculture du territoire concerné et dont la production dominante est l’élevage laitier » (Amand et al., 2015).
Dans leur article, ils prennent notamment un exemple qui éclaire les résultats de leur recherche. L’exemple concerne un projet d’usine de méthanisation dans le centre de la France, projet de plus de trois millions d’euros et porté par des agriculteurs. Ce projet a été en partie financé par l’Union européenne et par les collectivités locales. Le premier constat est que seules certaines exploitations ont pu bénéficier de la « bienveillance » des collectivités locales par le biais des subventions. Le deuxième constat est que la surface moyenne des onze exploitations ayant participé au projet est de 159,1 hectares (1750 hectares au total) alors que, selon le recensement agricole de 2010, la surface moyenne des exploitations du département concerné est de 93,4 hectares.
Ce chiffre amène le constat suivant :
Si la surface n’est pas le seul critère pour déterminer le type d’agriculture pratiqué, cet écart est très significatif : les exploitations concernées par ce projet ont intériorisé le « jeu » de l’agrandissement, vécu comme nécessaire, au détriment des plus petites. Ce projet permet ainsi aux agriculteurs les plus « importants » de diversifier leur activité pour augmenter leur capital, via le soutien des élus qui financent ce type de projets, sans y associer les plus petites exploitations (Amand et al., 2015).
Le raisonnement lié aux enquêtes amène finalement à des résultats qui peuvent s’appliquer plus généralement à l’agriculture française :
La révolution écologique agricole a bien eu lieu : elle a permis de renouveler les causes de l’élimination systématique des plus petites exploitations agricoles. Les dispositifs qui encadrent cette révolution sont le produit de ce que Béatrice Hibou nomme la « bureaucratie néolibérale ». Cette dernière travaille à diffuser dans toutes les sphères sociales, y compris dans la sphère de l’intime, les principes de la rationalité instrumentale, de l’efficacité et de la rentabilité à court terme et s’autorise à exclure des populations entières sur des critères qu’elle considère comme objectifs car mesurables. […] De ce fait, les agriculteurs qui sont aujourd’hui en situation favorable vis-à-vis du système agricole dominant peuvent se trouver marginalisés parce qu’ils ne parleront plus le langage de l’institution de demain. […] En requalifiant leurs pratiques sous un label entendu comme écologique (via l’agriculture raisonnée par exemple), ils poursuivent un imaginaire social institué par les élites, qui n’a rien de spécifique au milieu agricole, mais qui rentre dans une conception générale des rapports de production, organisés selon un modèle unique, industriel. Le seul mouvement caractéristique de la profession agricole est donc bien celui qui en revient toujours au même point (Amand et al., 2015).
Cette transition conduit à la disparition d’un certain type d’agriculteurs, ceux qui ne peuvent suivre l’accélération de la production et de la consommation énergétique. Ainsi, « l’agriculture française a bien opéré un détour par le développement durable, mais elle n’a jamais modifié pour autant sa trajectoire, celle du « progrès » permanent » (Amand et al., 2015).
Ces liens entre production d’EnR, agriculture et paysage m’ont conduit à vouloir analyser les effets de la transition énergétique sur les pratiques des agriculteurs et comment ces nouvelles pratiques impactent visuellement les paysages agricoles.
Ainsi, mon travail vise à répondre à la problématique suivante : Dans quelles mesures les modifications des pratiques agricoles induites par l’engagement des agriculteurs dans une démarche de production énergétique déconcentrée donnent-elles lieu à des modifications visibles dans le paysage agricole ?
Pour y répondre, il faut comprendre l’arbitrage que fait l’exploitant entre son activité agricole et son activité de producteur d’énergie, comprendre si certaines conditions de revenu et de travail favorisent un abandon progressif de la production agricole au profit de la production énergétique et en quoi cela influence les paysages agricoles.
Mon hypothèse est que plus le convertisseur énergétique est une source de revenus complémentaire, plus il va bouleverser les pratiques agricoles, et donc plus ce sera visible.
Plusieurs cas de figure envisageables :
- Les agriculteurs qui s’orientent vers une production énergétique majoritaire et une production alimentaire marginale (pour justifier le maintien du statut d’agriculteur par exemple)
- Les agriculteurs qui équilibrent les deux et les rendent complémentaires (augmentation du cheptel pour augmenter la surface des toits des stabulations et les fumiers méthanisés)
- Les agriculteurs dont la production énergétique demeure un revenu complémentaire (location de surface pour l’éolien) sans impact réel sur l’activité agricole
En outre, j’émets l’hypothèse que plus le convertisseur énergétique est inséré dans la structure de production agricole, plus il engendre des modifications des pratiques agricoles.
Pour le formuler autrement, je pense qu’un agriculteur produisant de l’énergie via un méthaniseur est plus susceptible de modifier ses pratiques agricoles que par de la production d’énergie solaire ou éolienne, l’alimentation d’un méthaniseur étant directement liée à sa production agricole.
Dans cette partie, nous avons vu que l’énergie ne manque pas de faire paysage par ses infrastructures et ses effets en cascade. La production d’énergie a pendant longtemps fait partie du paysage familier, avant de se voir concentrée et déterritorialisée partiellement. Aujourd’hui, le retour à une production d’énergie territorialisée marque un nouveau chapitre dans l’histoire de l’Homme et de l’énergie. Le déploiement de nouveaux convertisseurs énergétiques est rendu possible par le fait d’acteurs se saisissant de la question. C’est le cas des exploitants agricoles, qui semblent détenir les solutions aux problématiques soulevées par cette nouvelle forme de production. S’en saisissant, ils modifient plus ou moins leur organisation et leurs pratiques en conséquence, impactant in fine les paysages agricoles de façon directe et à court terme, mais également indirectement en renforçant les disparités au sein du monde agricole.
Dans cette partie, nous poserons les bases de l’analyse en introduisant le territoire étudié et en justifiant ce choix, en décrivant la méthode de recherche utilisée et en rapportant les éléments essentiels des entretiens menés, les faits saillants qui serviront l’analyse de la troisième partie.
Le territoire rural des Mauges est situé en région Pays de la Loire, au sud-ouest du département de Maine-et-Loire, la frontière nord du territoire jouxtant la Loire. Sous l’influence métropolitaine du triangle Angers-Nantes-Cholet, ce territoire regroupe 6 communes qui comptent un total de 120 000 habitants, couvre 1315km² pour une densité moyenne de 90 habitants au km².
Le paysage des Mauges est marqué par deux identités fortes : la vallée de la Loire et le bocage. Le relief, qualifié par les géographes de relief en creux, se caractérise par une succession de plateaux, coteaux et vallées. C’est un territoire de polyculture élevage dans lequel on compte de nombreuses initiatives en matière de production d’EnR. Ces nombreuses initiatives ont été récompensées en 2014 par le label gouvernemental de « Territoire à énergie positive pour la croissance verte » ou TEPCV.
Contrairement à d’autres territoires où les projets d’EnR font face à de vives contestations, la particularité des Mauges est que les projets semblent s’opérer dans un consensus apparent qui semble provenir de l’implication des élus. Dès les années 2000, un centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE), une association labellisée qui agit en faveur du développement durable, chargée notamment d’accompagner des territoires au service de politiques publiques et de projets d’acteurs, est missionné pour traiter les questions environnementales du territoire. Dans le même registre, il y aura la mise en place en 2003 d’un programme ATEnEE (Actions territoriales pour l’environnement et l’efficacité énergétique), puis un Contrat d’objectif territorial (COT) et un Plan climat-énergie territorial (PCET) 2010-2015, renouvelé pour 2015-2018 (Mazaud et Pierre, 2019).
D’autre part, les projets d’EnR font l’objet de réflexions collectives qui aboutissent à plusieurs documents : un schéma éolien du Pays des Mauges en 2006 puis un schéma de méthanisation et un schéma de développement solaire en 2013, ces schémas le fruit d’une intention forte de voir ces énergies se déployer sur le territoire, tout en encadrant ce développement et en exigeant des développeurs des projets énergétiques certaines règles, comme de s’adresser d’abord aux élus locaux plutôt qu’aux agriculteurs détenteurs du foncier par exemple.
L’implication des élus dans le développement local du territoire grâce à la transition énergétique se retrouve formulée dans la réponse à l’appel à projets européen « Leader 2014-2020 » au sein de la région Pays de la Loire : voit le jour un ensemble d’actions dont « l’ambition est de faire de la transition énergétique un moteur de développement du territoire qui doit [lui] permettre de relocaliser des emplois, tout en réduisant [sa] dépendance extérieure en matière d’approvisionnement en s’appuyant sur [son] fort potentiel en matière d’énergies renouvelables » (Pays des Mauges, Région Pays de la Loire, programme Leader 2014-2020).
Les Mauges sont assez représentatifs des territoires ruraux qui jouent un rôle clé dans l’émergence de projets en énergie renouvelable car ils réunissent des acteurs variés qui s’impliquent collectivement et forment des collaborations, notamment entre agriculteurs et autres résidents locaux. Les raisons qui les poussent à s’impliquer sont de différentes natures, mais, pour les agriculteurs, monter un projet de production d’EnR vise avant tout à générer de la richesse et s’assurer un revenu complémentaire et sûr pour plusieurs décennies : ils sont mobilisés dans une logique entrepreneuriale, inscrits dans une approche productiviste plutôt qu’engagés dans une réflexion sur la décroissance. Ils décident largement de s’auto-organiser localement plutôt que de dépendre d’acteurs avec lesquels ils devraient partager les bénéfices générés (Mazaud et Pierre, 2019).
J’ai donc choisi le territoire rural des Mauges pour sa concentration d’initiatives en production d’EnR, et ce depuis un certain nombre d’années ce qui permet d’obtenir des témoignages riches d’un certain recul. En outre, une enquête menée entre l’été 2015 et l’hiver 2016 par Caroline Mazaud et Geneviève Pierre sur le territoire concerné m’a permis de mieux saisir les dynamiques du territoire avant de m’y rendre, et d’adapter mes questions aux spécificités locales.
La méthode suivie pour ce travail de recherche est la méthode déductive appliquée au sujet de l’effet des nouvelles pratiques agricoles liées à la transition énergétique sur les paysages agricoles en territoire rural des Mauges. La porosité du monde agricole avec les EnR et les effets de l’arrivée de ces énergies sur les paysages agricoles allemands m’ont poussé à me poser la question du présent et de l’avenir des paysages agricoles français.
Pour tenter de répondre aux hypothèses formulées en fin de partie précédente, je me suis basé sur deux entretiens auprès de deux dirigeants de sociétés (Sociétés par actions simplifiées - SAS) de méthanisation en territoire rural des Mauges, les deux SAS regroupant 56 exploitations et 109 agriculteurs au total. Les deux entretiens que j’ai menés ont été des entretiens semi-directifs avec des questions ouvertes préparées en amont et centrées sur un cas précis qui est l’expérience propre des interrogés par rapport à leur activité et celles de leurs associés et de leurs connaissances. Les questions ne portent pas sur la transition énergétique ou la production d’EnR de manière générale. Le but étant d’obtenir des réponses ciblées sur des expériences personnelles, desquelles un certain nombre de réponses pourront faire écho ou donner matière à des observations ou des conclusions plus générales. Le but avec ce type d’entretiens étant de récolter des informations qui apportent des explications ou des éléments de preuves à mon travail de recherche.
Le premier entretien a été mené sur le site du méthaniseur dans la commune de Maulévrier tandis que le second a été mené par téléphone.
Enfin, certaines discussions informelles et mes observations paysagères sur le terrain ont également fait partie de ma méthode de recherche et m’ont permis de vérifier des intuitions ou d’affiner mes questions d’entretien.
Je tiens également à partager un échec qui peut être l’objet d’une piste de réflexion : j’ai obtenu le contact d’un agriculteur impliqué dans un projet de parc éolien que j’ai appelé afin de convenir d’un rendez-vous. Nous avons convenu que j’envoie quelques détails sur mon travail de recherche et le genre de sujets que je souhaitais aborder par courriel afin qu’il puisse ensuite organiser un rendez-vous en présentiel avec plusieurs autres agriculteurs aux profils variés pour répondre à mes questions. Le courriel a été envoyé quelques heures après l’appel, le 30 septembre 2022 et j’ai reçu une réponse courte et négative 6 jours plus tard. Suite à quoi j’ai proposé de le rencontrer seul et n’ai jamais obtenu de réponse. Après réflexion, je pense que l’échec tient au courriel que j’ai envoyé, et je tiens plusieurs causes pour responsables, qui peuvent être l’une ou l’autre ou une combinaison :
- Sur la forme : le courriel était trop long, ce qui peut être intimidant
- Sur le fond, deux facteurs potentiels :
- J’ai indiqué vouloir aborder le sujet de l’accessibilité à la production d’énergie, si ce n’était pas réservé qu’aux grosses exploitations : c’est un sujet que j’estime être source de tensions ou qui peut mettre mal à l’aise
- J’ai donné un exemple de tableau que je souhaitais pouvoir remplir à l’aide des réponses des interrogés, contenant des informations classiques comme la surface d’exploitation, la taille du cheptel, le type de production énergétique, l’utilisation finale, etc. J’ai rempli ce tableau avec des chiffres tirés de l’article sur le cas de la méthanisation en Allemagne en guise d’exemple et je me suis rendu compte a posteriori que les surfaces d’exploitation et la taille des cheptels mis en exemple étaient démesurées par rapport à l’activité moyenne du territoire des Mauges, et cette erreur a pu faire peur ou me décrédibiliser
Concernant les limites de ma recherche, je tiens à rappeler que le territoire étudié est un territoire bocager de polyculture élevage dans lequel se pratique une méthanisation dite agricole et alimentée principalement par du fumier. Les pratiques de méthanisation dans les plaines céréalières sont tout autres et pourraient faire l’objet d’une autre enquête.
Pour aller plus loin sur le territoire des Mauges, il faudrait interroger plus d’agriculteurs aux profils variés, des agriculteurs aux pratiques marginales mais qui produisent de l’énergie. En outre il faudrait obtenir plus de témoignages sur l’éolien et le solaire qui sont moins développés que le cas de la méthanisation dans ce mémoire. Cependant, l’éolien et le solaire ont un lien plus faible avec l’activité agricole à proprement parler.
Enfin, il y a bien sûr un problème de recul qui ne permet pas d’observer certains mécanismes de long terme qui sont évoqués dans ce mémoire, comme l’éviction des petits agriculteurs engagés dans le conventionnel mais n’ayant pas investi dans la production d’EnR. Il est trop tôt pour affirmer cela en isolant tout autre facteur, mais cela n’empêche pas de commenter certaines observations en ce sens, qui pourraient d’ailleurs faire l’objet d’un suivi dans un futur travail de recherche.
Dans cette sous-partie sont transmis les points essentiels concernant la méthanisation dans les des deux entretiens conduits. Il s’agit de partager les éléments qui seront analysés dans la troisième partie de recherche, ainsi que les éléments qui permettent de mieux comprendre ces analyses, bien qu’ils ne fassent pas directement l’objet de l’analyse. Cette sous-partie est divisée en deux car j’ai choisi de réserver une partie à chaque entretien.
Le premier contact interrogé est monsieur L., vice-président et ex-président de la SAS propriétaire d’un méthaniseur situé sur la commune de Maulévrier et en fonctionnement depuis fin novembre 2021. Il occupe plusieurs fonctions puisqu’en plus de son poste de vice-président de la SAS il est aussi exploitant agricole et élu à la commune de la Tessoualle.
Les 29 exploitations agricoles ayant une part dans la SAS et totalisant 56 agriculteurs sont situées à proximité de deux lacs, le lac de Ribou et le lac du Verdon, dans lesquels un captage Grenelle a lieu pour alimenter en eau potable le choletais et quelques communes autour de Cholet. La pression environnementale est donc forte dans le bassin versant des deux lacs. Le bassin versant fait environ 10000 hectares et les 29 exploitations associées au méthaniseur totalisent 3200 hectares dont 2500 dans le bassin versant. La genèse du projet est liée à cette pression environnementale, les eaux de captage étant impactées par une quantité trop importante de phosphore due aux activités agricoles locales.
Plusieurs scénarios furent envisagés pour diminuer la quantité de phosphore rejetée par les exploitations, et c’est la méthanisation qui l’a emporté :
On est donc arrivés très rapidement sur la méthanisation, parce que là il y avait également l’aspect économique qui rentrait en jeu et qui permettait non seulement de pouvoir mieux fertiliser nos terres et ne plus être en excédent structurel, et également si on pouvait faire de l’argent ce serait pas mal. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
C’est ainsi qu’est né le projet de méthanisation d’un coût de 10 millions d’euros hors taxes, lequel a nécessité un achat bancaire de 12,7 millions d’euros, et pour lequel projet la SAS a obtenu 2 millions d’euros de subventions, dont 1 million de l’ADEME.
Une fois le projet de méthanisation décidé, il a fallu dimensionner le méthaniseur en fonction des intrants potentiels :
En fait on a dimensionné en fonction de nos ressources de fumier. C’est-à-dire qu’on a fait le tour de chacune des exploitations en regardant ce que chacun pourrait ramener dans la marmite. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
Le résultat était une estimation de 45000 tonnes de fumier par an et le méthaniseur a été dimensionné un peu au-dessus à 47000 tonnes par an. Monsieur L. nous informe que c’était une volonté de ne pas surdimensionner largement pour ne « pas faire une course en avant sur l’évolution des exploitations », un surdimensionnement aurait été « la porte ouverte pour que les gens puissent aller doubler leur cheptel ou autre », ce qui n’était pas souhaité, l’objectif étant « de rester dans la capacité actuelle et aussi […] ne pas donner des raisons à des opposants de s’opposer au projet. L’objectif n’était pas de faire dans le gigantisme, l’objectif était de faire une méthanisation agricole. »
Tous les exploitants agricoles de la SAS sont des éleveurs. La majorité élève des vaches laitières, mais on retrouve aussi des éleveurs de bovin pour la viande, des éleveurs de porcs, de canards, de chèvres, de moutons, de poules pondeuses, de poules reproductrices et de chevaux. Le plus gros exploitant bovin a environ 200 têtes et le plus petit en a 49 (à partir de 50, les exploitations sont classées en ICPE [1]).
[1] Installation classée pour l’environnement
Monsieur L. a tenu à m’indiquer que, dans les Mauges, la méthanisation agricole est ce qui se fait le plus contrairement aux régions céréalières par exemple qui n’ont pas d’effluents d’élevage, pas de fumier et qui ont des méthaniseurs basés sur des cultures, sur de la CIVE [2], sur des maïs, etc.
[2] Culture intermédiaire à vocation énergétique
Leur méthaniseur fonctionne à 50% avec du solide constitué de 80% de fumiers de bovin pailleux, et à 50% liquide avec des lisiers de canard, de porc et de bovin. La diversité d’intrants semble essentielle pour que le méthaniseur fonctionne de manière optimale.
Cependant, la forte dépendance au fumier bovin pose un problème lorsque les vaches sortent au champ l’été et que les stabulations se vident car le fumier n’est pas récupérable. La compensation se fait alors avec des CIVE, des issues de céréales et/ou de la glycérine. Cependant, les issues de céréales et la glycérine ont vu leurs prix augmenter récemment. Ainsi, la compensation idéale serait par des CIVE ou des CIPAN [3] : [3] Culture intermédiaire piège à nitrates
Dans notre business plan idéalement il faudrait pouvoir remplacer par des CIVE et des CIPAN donc ça on est fortement incités à faire des CIPAN parce que dans un bassin versant avec un captage grenelle, idéalement il faut avoir un piège à nitrates pendant la période d’hiver qui fait que tous les résidus qui resteraient dans le sol sont captés par cette culture qui reste une culture d’hiver intéressante et on la récolte au printemps pour la mettre dans le méthaniseur. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
Pour être entièrement autonomes, monsieur L. estime que la surface dédiée aux cultures intermédiaires nécessaire devrait être d’environ 300 hectares afin de parer à la saisonnalité. Ce problème de saisonnalité est lié à la forme du contrat que la SAS a fixé avec la société qui leur achète le gaz. La production de gaz est mensualisée : le quota d’injection de gaz est le même que ce soit le mois de mars ou le mois de juillet.
Concernant le futur de la région et de la pratique agricole, monsieur L. confie :
On ne sait pas encore comment on évoluera dans les 5/10 ans, j’espère qu’il y aura toujours de la polyculture élevage dans notre région parce que si l’élevage s’arrête on n’aura plus de fumier, donc on sera obligés de faire migrer les méthaniseurs sur des produits végétaux donc nous la condition sine qua non du fonctionnement du méthaniseur c’est de continuer à avoir du fumier. On est partis là-dessus, dans cette idée là, dans l’espoir qu’on puisse toujours avoir des jeunes agriculteurs qui s’installent et qui s’installent en production animale. Parce que c’est tellement tentant aujourd’hui pour un jeune de s’installer en céréalier : c’est moins de travail que les animaux, pas besoin de se lever à 6h du matin pour aller faire la traite, c’est totalement différent dans la production. […] On connait la démographie agricole, on sait que des jeunes futurs agriculteurs il y en a quasiment plus, le réservoir se tarit. Aujourd’hui on a un agriculteur sur deux en installation qui est un jeune non issu du milieu agricole en France. Ce jeune-là issu ou pas du milieu agricole […] s’il a le choix de s’installer dans une région où il va avoir une pression environnementale très forte avec un captage Grenelle ou dans une région où tout va très bien et personne ne va l’emmerder, et bien il […] ira trouver une exploitation agricole où il aura le moins de contraintes possibles. Parce que quand je te dis issu du milieu agricole ou pas issu du milieu agricole, souvent on le voit, dans les issus du milieu agricole c’est de la continuité familiale. Demain ce qu’on va voir c’est des exploitations agricoles qui se transmettent sans descendance familiale et des jeunes qui vont avoir un choix énorme sur les exploitations. Quand je dis demain c’est à l’échelle de 10 ans.
Les dividendes du méthaniseur apparaissent comme un « petit atout » pour contrer cette tendance, ou du moins la freiner. Le revenu financier complémentaire procuré par la vente du gaz peut intéresser des jeunes qui cherchent à s’installer, et ainsi pérenniser l’agriculture de la région et l’identité du territoire. Cette problématique est un sujet bien réfléchi car la moyenne d’âge des exploitants de la SAS est de 48 ans, avec déjà 2 retraités après un an de fonctionnement du méthaniseur. La priorité est donnée aux repreneurs des exploitations, surtout que le méthaniseur fonctionne avec des exploitations situées dans un rayon de 7 kilomètres et que ce rayon ne peut pas être beaucoup plus grand à cause des coûts de logistique.
L’arrivée de la méthanisation a modifié certaines pratiques agricoles chez les exploitants de la SAS. La première modification concerne la gestion du fumier. Avant l’arrivée du méthaniseur, le fumier était stocké sur l’exploitation et géré au printemps, c’est-à-dire chargé, roulé, mis dans les épandeurs et épandu dans les champs. Aujourd’hui ce travail est lissé à l’année, il s’intègre dans les tâches quotidiennes ou hebdomadaires des exploitants, et la montagne de fumier telle qu’on la connait n’existe plus chez eux :
Alors c’est complètement différent, les gars apprécient parce qu’on leur demande d’aller charger un caisson (alors si c’est une grosse exploitation ils vont nous en charger un par jour, si c’est une petite exploitation ils vont peut-être avoir un caisson par semaine) mais en fait ils n’ont plus de stock de fumier chez eux, ils le chargent au fur et à mesure. Ça leur prend une heure de charger un caisson, ou même pas, ça dépend de ce qu’ils ont comme engin. Et ils n’ont plus de stock de fumier à l’exploitation. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
Le caisson en question cité par monsieur L. fait partie de la nouvelle logistique liée à la méthanisation. Les caissons sont déposés par des camions de la SAS qui circulent selon les besoins des différentes exploitations, ils déposent les caissons vides puis viennent les récupérer une fois chargés. Autrement, la SAS possède également un camion-citerne qui vient pomper le lisier chez les exploitants concernés.
La seconde modification concerne la réutilisation des résidus de la méthanisation, à savoir le digestat. Le digestat a deux phases, une solide et une liquide. La partie solide retourne en caisson et est remise dans les exploitations, tandis que la partie liquide est remise dans des fosses de stockage qui ont été créées au plus proche des zones d’épandage. Les exploitants ont aujourd’hui la possibilité de faire sous-traiter à des entreprises de travaux agricoles le pompage du digestat dans les stockages pour venir les mettre dans l’exploitation. Le digestat sert aussi à « mieux fertiliser » :
L’idée c’est de mieux fertiliser. […] Le digestat liquide va concentrer l’azote, le digestat solide va concentrer plus de phosphore. […] La cerise sur le gâteau c’est que le digestat est totalement désodorisé parce qu’on a récupéré le CH4 et on a minéralisé l’azote et la cerise sur le gâteau c’est que le digestat, vu qu’il a déjà été digéré il est directement assimilable par la plante, on a moins de risque de lessivage entre le moment de l’épandage et le moment où la plante va pouvoir l’assimiler. Et le meilleur exemple c’est quand on met du digestat liquide sur un maïs au stade « genou », trois jours après il a déjà assimilé tous les nutriments qu’on a apporté. Tandis que quand on mettait un fumier brut, on avait besoin d’avoir une phase de compostage dans le sol, une phase de dégradation de la matière dans le sol qui était longue et qui risquait un lessivage dans les nappes phréatiques : donc c’est tout l’intérêt d’avoir ça dans un bassin versant quand on a une problématique de qualité d’eau. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
L’idée est aussi, selon monsieur L., que « les agriculteurs du groupe n’aient plus besoin d’aller acheter d’azote minérale, qu’ils soient auto suffisants avec le digestat liquide » et le constat est que c’est « un fonctionnement différent où les gens vont utiliser plus de tonnes à lisier, moins d’épandeurs à fumier mais il n’y a pas eu de modification du paysage, pas d’arrachage de haie, pas de chose comme ça parce que de toute façon ça ne change pas du tout dans le fonctionnement de notre agriculture et de notre approvisionnement. »
Le sujet de l’accès à la méthanisation et du coût d’entrée pour les exploitants a été abordé pendant l’entretien, et, dans le cas de la SAS de Maulévrier, l’idée était, je cite, d’être « le plus démocratique possible dans notre système », ce qui a donné lieu à la création d’un tableur Excel dans lequel ont été renseignées les valeurs de chaque fumier en azote, phosphore, potasse, matière organique et pouvoir méthanogène, avec l’idée de garder ces valeurs pour le retour en digestat. L’achat du fumier et la revente du digestat sont basées sur ces valeurs.
Cette table de calcul a également servi à distribuer les parts sociales, chacun souscrivant en fonction de ses apports, « donc nos parts sociales varient de 5000€ pour le plus petit à 90000€ pour le plus gros et en fait cette table de répartition, lorsqu’on aura des bénéfices, on utilisera la même table de répartition pour que la répartition de la masse financière générée […] se fasse au retour sur les exploitations agricoles au prorata de ce que chacun a mis dans la marmite. On a essayé ce système le plus démocratique possible pour ne pas favoriser un gros agriculteur par rapport à un petit et vice versa. »
Enfin, un dernier thème qui se dégage de l’entretien avec monsieur L. est celui de l’influence des politiques publiques sur la pratique agricole et sur la production d’EnR.
Par leur production de gaz, la SAS génère des garanties d’origine en même temps qu’elle vend son gaz. Ces garanties sont en fait des « certificats verts » qui se monétisent, qui sont rachetés par des compagnies polluantes qui n’ont pas la possibilité de baisser leur empreinte carbone. Aujourd’hui une certification RED II est en cours et va permettre de commercialiser les certifcats verts au niveau européen à des prix plus intéressants qu’au niveau national. Les certificats verts sont valorisés plus ou moins en fonction des intrants mis dans le méthaniseur : le maïs, les CIVE ont un mauvais bilan carbone et la note du certificat est alors mauvaise, contrairement à des intrants de déchet comme le fumier par exemple.
Concernant l’alimentation du méthaniseur, une loi française limite à 15% au plus le pourcentage de culture dédiée (les articles de loi sont en annexes), c’est-à-dire une culture destinée au méthaniseur. Malgré cela, certains exploitants trouvent des moyens de contournement, comme l’explique monsieur L. :
Les CIVE ne rentrent pas dans les 15% donc, mais il y a des méthaniseurs qui jouent avec ça : ils font une culture principale qui rentre dans les 15% puis tout le reste est déclaré en CIVE. Tu mets par exemple ton méteil dans la culture principale que t’as fait dans l’année, et tu mets un maïs en CIVE parce qu’il a été mis en intercalaire entre un méteil et un blé, il y en a qui jouent avec ça.
Un dernier point évoqué avec monsieur L. dans ce thème des politiques publiques est celui des « contraintes environnementales ». Le méthaniseur est classé ICPE et cela a entraîné des contrôles et des travaux réalisés au préalable du projet par différents acteurs liés au volet environnemental. Cela a donné lieu à des aménagements spécifiques :
On a eu une contrainte environnementale très forte. Ils nous ont trouvé une zone humide sur le lieu où on voulait s’implanter donc on a commencé par faire une compensation de zone humide : on a fait un aménagement paysager dans une coulée pour pouvoir récupérer des eaux de trop plein de drainage et d’étang pour éviter que ça s’en aille directement dans une rivière. On a fait des bassins de rétention de façon à pouvoir faire des cuvettes de décantation. […] Les mètres de haie arrachés pour la construction ont été compensés. (Monsieur L., entretien du 15/10/2022)
Le second contact interrogé est monsieur C., président de la SAS propriétaire d’un méthaniseur situé sur la commune de La Séguinière, commune voisine à environ 2 kilomètres de la frontière des Mauges. Le méthaniseur n’est donc pas situé dans le périmètre exact du territoire rural des Mauges, mais il s’inscrit dans un même fonctionnement agricole et paysager, partage les mêmes problématiques que les agriculteurs de la région et les exploitations qui le composent sont situées dans un rayon de 6 kilomètres autour du méthaniseur. En outre, les associés de la SAS se sont rencontrés à l’initiative de la commune de Sèvremoine, située dans le territoire rural des Mauges. Le méthaniseur est actif depuis mars 2018.
Pour monsieur C. et les 53 agriculteurs répartis sur 27 exploitations de la SAS, tout commence avec la directive Nitrates de 2013-2014 les obligeant à mettre les fosses à lisier aux normes. De là est venue l’idée de la méthanisation collective qui en fait coutait moins cher, solutionnait le problème et représentait une potentielle source de revenus. La constitution du groupe s’est faite autour de réunions publiques organisées par la chambre d’agriculture et la commune de Sèvremoine pour des potentielles installations de méthaniseurs dans des endroits stratégiques. Finalement, sur les 27 exploitations, monsieur C. les connaissait toutes, « au moins un associé de l’exploitation », sauf une. L’emplacement a été choisi car il y avait un réseau de gaz qui passait dans la parcelle, et parce qu’il était situé à côté d’une route départementale et d’une route communale.
Ce projet représente un investissement de 6,5 millions d’euros pour lequel la SAS a obtenu 1,5 millions d’euros de subventions de l’ADEME et un peu plus de 100000€ de l’agence de l’eau.
Cumulée, la surface totale occupée par les 27 exploitations est de 2700 hectares. Parmi les exploitations, on trouve environ 3650 têtes de bovin dont 60% élevées pour le lait et 40% pour la viande, 12 ateliers de volailles et un atelier de canards.
Dans le cas de monsieur C., il est en GAEC [4] avec ses deux frères. Ils possèdent 150 hectares de terres sur lesquelles on trouve une cinquantaine d’hectares de céréales blé/orge, une dizaine d’hectares de maïs, 90 vaches allaitantes et 3500m² de volaille reproductrice, chiffres qui n’ont pas évolué depuis le début de la production d’EnR.
[4] Groupement agricole d'exploitation en commun
Le plus petit exploitant de la SAS a une cinquantaine de vaches et 80 hectares de terre et tout en prairie, c’est-à-dire qu’il ne cultive ni céréale ni maïs. Cet exploitant exerce une autre activité que l’élevage.
Le groupe entretient de très bonnes relations et se conseille parfois sur des achats en CUMA [5], « sur des équipements d’épandage principalement ».
[5] Coopérative d'Utilisation de Matériels Agricoles
Le calibrage du méthaniseur s’est fait à l’aide d’un bureau d’études installé à Nantes et spécialisé dans la méthanisation. Ce bureau d’études a fait passer une personne dans chaque exploitation pour calculer le gisement d’effluents potentiels par exploitation. De 55000 tonnes par an en 2018, les intrants annuels sont aujourd’hui de 58000 tonnes, mais la marge de croissance est dans tous les cas bridée par la capacité du méthaniseur. Monsieur C. raconte que « au démarrage les banques étaient assez frileuses, la méthanisation était une technique qu’on ne connaissait encore pas beaucoup. A l’époque les banques […] nous ont bridé sur le 130m3 par heure. Aujourd’hui on doublerait, voire même on partirait sur du 280m3/heure. » Aujourd’hui, la SAS présidée par monsieur C. parvient au maximum à produire du 160m3/heure et a pu passer sur un contrat à 150m3/heure. Pour tenir un rythme qu’ils souhaiteraient deux fois plus élevé, j’ai interrogé monsieur C. sur comment ils procèderaient pour augmenter les intrants, s’ils auraient augmenté la taille des cheptels par exemple. Voici sa réponse :
Pas forcément, on serait partis sur des cultures peut-être. […] On a démarré en 2014 les réflexions et on a démarré l’injection en 2018, donc il y a 4 ans qui s’écoulent et en 4 ans les exploitations bah elles changent. Sur 26 exploitations il y a peut-être eu 160 vaches en plus donc ça fait du gisement en plus et donc on s’est rendus compte qu’on avait beaucoup plus de gisement que prévu. (Monsieur C., entretien du 15/11/2022)
Comme pour monsieur L., la perte d’intrants en été est compensée par des CIVE, du maïs ensilage, un petit peu de déchets et d’issues de céréales. Les CIVE utilisées par les exploitations de la SAS sont généralement cultivées entre le mois de juillet et le mois d’avril de l’année suivante. Par rapport à ces CIVE :
On ne peut pas laisser les terres nues donc on implante des cultures, alors ça peut être de l’herbe, ça peut être du seigle, ça peut être du trèfle, ça peut être du tournesol ça peut être n’importe quoi… et c’est des cultures qui sont vraiment à vocation énergétique et donc qu’on récolte pour mettre dans le méthaniseur. (Monsieur C., entretien du 15/11/2022)
Concernant les départs à la retraite, la priorité est donnée aux repreneurs des exploitations, comme pour monsieur L., mais avec un droit de regard des associés, « c’est-à-dire que si tout d’un coup on se rendait compte que le repreneur rentrait pas dans le moule de la SAS, peut-être qu’on pourrait dire non. » D’ailleurs, monsieur C. m’a indiqué qu’il y avait deux cas de départ à la retraite prochainement, mais qu’ils n’auraient a priori pas besoin de les gérer car ils pourraient remplacer leurs contributions au méthaniseur par plus d’intrants de la part des associés restants.
De même que pour monsieur L., la SAS de la Séguinière fonctionne avec un camion-citerne qui peut transporter 30 tonnes d’effluents liquides et avec un système d’une trentaine de caissons qui peuvent contenir 15 tonnes de fumier. Ces camions circulent en fonction d’un calendrier établi en début de semaine. La plus grosse exploitation fonctionne à raison de 3 caissons par semaine en moyenne, et la plus petite d’un tous les quinze jours environ.
Monsieur C. confirme le changement de pratique autour du fumier avec une gestion désormais lissée et la disparition des tas de fumier pour les exploitants liés au méthaniseur. Pour monsieur C., c’est un gain de temps et d’énergie pour les agriculteurs, même si « ce sont des choses qui sont difficilement quantifiables. »
Le digestat du méthaniseur de la SAS est ré-épandu sur les exploitations et sert à fertiliser les cultures et à réduire d’autant l’usage d’engrais chimiques. Par exemple, pour l’exploitation de monsieur C. et de ses deux frères, l’achat d’engrais minéral a été réduit d’une dizaine de tonnes par an. Une partie du digestat était vendu au départ, mais désormais il est totalement autoconsommé.
Monsieur C. affirme que le digestat a un impact visible sur la croissance des plantes, du fait que « le digestat est plus rapidement assimilé par la plante », tout en étant conscient que d’autres facteurs entrent en jeu et que la différence réelle est difficilement calculable, surtout avec les différences de température des dernières années.
Interrogé sur les nouvelles infrastructures ou machines qui apparaissent dans le paysage par rapport à la méthanisation, notamment au niveau de l’épandage, monsieur C. indique que la SAS n’a rien acheté mais travaille avec des partenaires, des ETA [6] ou des CUMA qui ont pu s’équiper de matériel performant, notamment pour faire de l’épandage sans tonne ou de l’épandage avec des petites tonnes de 10m3. [6] Entreprise de Travaux Agricoles
Pour monsieur C., les risques de changement de comportement liés à l’arrivée de la méthanisation sont plus à observer du côté des plaines céréalières, la polyculture élevage semble à l’abri pour le moment, notamment avec la loi des 15% mentionnée précédemment, mais « ça peut tourner » car l’élevage est une activité compliquée :
Peut-être qu’à un moment il y en a qui vont dire l’élevage c’est compliqué on va diminuer puis on va aller vers plus de cultures pour le méthaniseur. Peut-être que ça peut aller dans ce sens-là mais pour le moment ça n’en prend pas le chemin. (Monsieur C., entretien du 15/11/2022)
Au cours de l’entretien a été évoquée la PAC [7] qui joue un certain rôle sur la préservation du paysage bocager du territoire puisqu’elle oblige à conserver les haies.
[7] Politique Agricole Commune
Concernant les cultures intermédiaires, monsieur C. avoue ne pas s’en être beaucoup préoccupé avant parce que ce n’était pas obligatoire, et commente :
Si on peut généraliser ou vulgariser je dirais qu’avant on implantait surtout des RGI 8 ça se limitait surtout à ça, alors que maintenant il peut y avoir du RGI dans les associations mais il y aura automatiquement une légumineuse avec voire un protéagineux. [8] Ray-Grass-Italien
Cette sous-partie est réservée aux éléments d’entretien en rapport avec l’éolien et le solaire. Les informations recueillies à ces sujets lors des deux entretiens sont traitées ensemble ici car la quantité d’information est plus faible d’une part, comme évoqué dans la partie méthodologie, et contient moins d’éléments faisant matière à analyse dans l’optique de répondre à la problématique d’autre part.
Concernant le solaire, monsieur C. a indiqué avoir monté deux centrales solaires, une en 2009 et une en 2017 et en avoir une de prévue pour 2023. L’énergie solaire produite est entièrement destinée à la vente, il n’y pas d’autoconsommation. Les deux centrales solaires couvrent actuellement 850m² et la troisième centrale solaire couvrira 1300m².
Pour ce projet de 1300m² qui verra le jour en 2023, un nouveau bâtiment « fait clairement pour le photovoltaïque » va être construit, il servira de stockage également mais il est implanté plein sud et est pensé à la base pour le projet de production énergétique solaire.
C’est l’installation la plus grosse des associés de la SAS, et de loin, puisque les autres exploitants ont des surfaces couvertes en panneaux d’environ 400m² à 500m², pour ceux qui en ont. Elles produisent également de l’énergie solaire destinée à la vente à part 2 exploitations qui consomment cette énergie, et l’ensemble des investissements en solaire au sein des exploitations associées à la SAS sont des investissements de nature individuelle.
Dans le cas de monsieur L., sur les 29 exploitations agricoles, 16 ont des panneaux photovoltaïques dans leur exploitation. Monsieur L. avait lui commencé à installer des panneaux photovoltaïques « dans les premiers », vers 2010, avouant regretter de ne pas en avoir fait plus à l’époque car les contrats étaient très avantageux. Son investissement initial était de 170000€, puis il a réinstallé 30kw il y a 8 ans. Au total, monsieur L. possède 250m² de panneaux solaires destinés à l’autoconsommation et 250m² destinés à la vente, les 500m² étant placés sur des bâtiments agricoles, côté sud dès que possible. Il indique que, désormais, pour les associés de la SAS, la majorité des bâtiments construits ont une grosse partie dont les toitures sont volontairement orientées côté sud, comme par exemple le grand pan du bâtiment principal du site de méthanisation.
Concernant l’éolien, monsieur C. m’indique qu’aucune des 27 exploitations ne produit de l’énergie à l’aide d’éoliennes, il y en a à une quinzaine ou vingtaine de kilomètres de l’emplacement du méthaniseur mais ils n’ont pas de lien avec. Monsieur L. n’a pas d’information précise à me donner au sujet de l’éolien, car, comme pour monsieur C., aucune des 29 exploitations de la SAS ne produit de l’énergie éolienne.
Cette partie a permis de prendre connaissance des spécificités des Mauges, un territoire de polyculture élevage fort d’un maillage bocager dense, au sein duquel se développent des pratiques énergétiques remarquées par un label gouvernemental. A travers les deux enquêtes, des citations ou des faits reportés ont été retranscris, sur des sujets divers qui permettront de relever des éléments de langage ou de soulever certains faits qui ont été dits afin d’en montrer les liens avec les transformations actuelles, à venir et/ou envisagées des paysages agricoles.
Cette partie sera consacrée à la construction d’un raisonnement sur les modifications des paysages agricoles en territoire des Mauges induites par la production énergétique des exploitants. Ce travail sera rendu possible par l’analyse d’éléments de langage relevés dans la partie précédente, par des recherches statistiques permettant de soutenir des intuitions ou par la mise en lumière de certaines concordances entre les deux enquêtes, ou de contradictions dans les discours, ou par tout autre procédé permettant d’apporter des éléments de réponse à la problématique de ce travail de recherche. Elle sera divisée en trois sous-parties, avec les deux premières consacrées aux changements paysagers constatés et aux mécanismes structurels de long terme qui semblent agir en second plan, tandis que la troisième sous-partie sera focalisée sur le rôle majeur que jouent les politiques publiques et les réglementations dans ces changements paysagers, en les incitant ou en les freinant.
Ici j’indiquerai quelles observations in situ peuvent révéler des changements de pratiques agricoles liées à la production énergétique, constituant les empreintes de la transition énergétique sur les territoires agricoles.
Un premier constat est que, dans les deux cas d’étude, le contrat qui fixe la production de gaz est mensualisé. De là se crée une confrontation entre une production de gaz souhaitée linéaire et une activité de polyculture élevage soumise à de la saisonnalité. S’engager sur cette production linéaire implique de fait un changement et/ou une adaptation des pratiques agricoles pour répondre au contrat.
Dans les deux cas étudiés, la réponse apportée incluait une part de production de CIVE, à des niveaux différents mais avec une même volonté d’accroître leur culture afin d’arriver à une autonomie, c’est-à-dire réussir à alimenter le méthaniseur sans achat extérieur :
Nous on cherche une autarcie, une autonomie dans l’approvisionnement, donc idéalement pour pouvoir être 100% autonomes, pour ne pas avoir à acheter des matières extérieures, il nous faudrait 300 hectares de CIVE [1].(Monsieur L., entretien du 15/10/2022) [1] Pour rappel, la surface totale exploitée par les exploitants associés de la SAS de Maulévrier est de 3200 hectares et tous ces exploitants sont avant tout des éleveurs
Cette volonté d’autonomie est d’autant plus forte aujourd’hui que la croissance du nombre de méthaniseurs augmente la demande en produits extérieurs comme les issues de céréales, avec pour conséquence de tirer leur prix d’achat vers le haut.
La culture des CIVE est donc un des changements de pratiques agricoles lié à la transition énergétique ayant un impact sur les paysages agricoles. Les agriculteurs des deux SAS sont concernés par une obligation de couverture des sols car situés en zone vulnérable. La couverture par des cultures intermédiaires n’est donc pas nouvelle, mais leur nature change.
En effet, dans le cas de monsieur C., la couverture du sol autrefois composée principalement de RGI n’est plus composée de la même manière aujourd’hui. Il peut toujours y avoir du RGI mais « il y aura automatiquement une légumineuse avec voire un protéagineux », citant ensuite le trèfle, le pois ou la vesce et m’indiquant que, dans le cas de son exploitation, il y aurait cette année du triticale accompagné de vesce.
Monsieur L. m’a quant à lui parlé de l’association céréales légumineuses plus connue sous le nom de « méteil », soit l’association faite cette année par monsieur C. avec le triticale et la vesce : « Le plus intéressant c’est le méteil, on le récolte on l’ensile, il a autant de racinaire que d’aérien, il améliore grandement la structure du sol et il ramène une matière organique directement assimilable. »
Comme évoqué au début de cette partie, la mensualisation de la production de gaz implique une certaine régularité dans l’alimentation du méthaniseur. Dans les deux cas étudiés, l’intrant principal du méthaniseur est le fumier bovin. La nécessité d’apporter régulièrement ce fumier sur le site de méthanisation a changé la pratique commune qui consistait à stocker le fumier sur l’exploitation. Le stockage du fumier avait pour conséquence la constitution de tas de fumier de plusieurs mètres de haut, repérables non seulement visuellement mais également par les odeurs et par la fumée dégagée pendant l’activité microbienne de décomposition de la matière organique.
Comme le résume bien monsieur C. :
Avant on mettait le fumier dans la fumière, de la fumière on le mettait dans le champ, du champ on prenait pour l’épandre donc on avait trois manipulations alors que maintenant on a une manipulation : on le sort du bâtiment et puis on le met dans le caisson direct.
Aujourd’hui, des caissons apparaissent au sein des exploitations d’élevage et les tas de fumier disparaissent des paysages agricoles de l’élevage dans les régions où les sites de méthanisation se déploient. A l’inverse, voir un tas de fumier dans une exploitation indique également l’absence de rattachement à un site de méthanisation par l’exploitant en question.
Quant aux éleveurs, la gestion du fumier est désormais une activité linéaire qui s’inscrit dans l’emploi du temps, quotidiennement pour les plus grosses exploitations. En moyenne, monsieur C. parle d’une heure par semaine réservée au remplissage des caissons. La gestion du fumier est lissée à l’année, du moins pour les mois où le bétail n’est pas aux champs.
La même remarque est valable pour la gestion des lisiers, qui est également ramenée à une pratique régulière mais la conséquence sur les paysages est moins évidente, les grosses fosses de stockage disparaissant au profit de fosses plus petites.
Une des conséquences de cette nouvelle gestion est la logistique sous-jacente et visible dans les paysages agricoles qui est la tournée des camions et camions citernes au sein des différentes exploitations de la SAS.
Les camions empruntent les routes à fréquence quotidienne ou quasi quotidienne et suivent souvent les mêmes parcours dans un rayon de quelques kilomètres autour du méthaniseur, 6 kilomètres dans le cas du méthaniseur de La Séguinière et 7 kilomètres pour celui de Maulévrier.
Le digestat, résidu de la méthanisation, retourne généralement dans les sols des exploitations soit sous une forme brute, soit sous une forme liquide ou solide après une étape de séparation de phase. Dans les deux cas étudiés, le digestat était séparé en une phase solide et une phase liquide. La phase solide est remise dans les exploitations sur les plateformes de stockage, transportée en caissons par camion, et la phase liquide est remise dans des fosses de stockage, bien souvent créées au plus proche des zones d’épandage. Aujourd’hui la tâche de l’épandage est de plus en plus sous-traitée, surtout à des entreprises de travaux agricoles (ETA), avec l’apparition de machines plus grosses dans les champs car l’investissement dans ces machines est trop conséquent pour le réaliser individuellement, notamment des machines d’épandage sans tonne, sous-entendu sans « tonne à lisier : un tracteur avec une rampe pendillard alimentée par un tuyau relié à la fosse à lisier circule dans les champs et épand le lisier sans plus avoir de tonne à rouler, comme on peut le voir dans la photographie ci-dessous. Monsieur C. parlait aussi de camions avec des « petites tonnes de 10m3 » qui ont moins de poids, des pneus plus larges et une meilleure portance. Ces nouvelles pratiques favorisent donc l’apparition de ces nouvelles machines dans les champs et la disparition des épandeurs à fumier en contrepartie.
Enfin, tout un discours porte sur la fertilité de ce digestat et des impacts bénéfiques qu’il peut avoir sur les sols, sur la qualité de l’eau et sur la croissance des plantes. Dans les deux cas d’étude, les conclusions qui ressortent sur l’usage du digestat est qu’il est assimilé plus rapidement par la plante, que la croissance des plantes s’en trouve améliorée et que l’assimilation rapide réduit le lessivage et améliore ainsi la qualité de l’eau. Une autre conséquence est que le digestat remplace progressivement l’usage d’engrais chimiques, avec par exemple une réduction de l’achat d’engrais minéral d’une dizaine de tonnes par an pour monsieur C.
Le recul sur la question et les recherches à propos des digestats sont contradictoires à ce jour et rien ne peut être affirmé quant aux conséquences évoquées au paragraphe précédent :
Pour résumer, que l’on considère les micro-ou les macroorganismes du sol, les résultats disponibles dans la littérature scientifique sont à ce jour contradictoires ; chaque étude rapportant des effets propres à des digestats particuliers, appliqués dans des conditions expérimentales uniques, rendant les conclusions actuelles peu génériques. […] Les données issues de la littérature scientifique ne permettent pas à ce jour d’objectiver l’impact des digestats de méthanisation sur la qualité biologique des sols. (Sadet-Bourgeteau et al., 2020)
On pourra donc dire que, dans l’hypothèse que les arguments avancés soient vérifiés à l’avenir pour la plupart des digestats, les conséquences de ces nouvelles pratiques sur les paysages seraient majeures tant elles impacteraient à la fois le paysage local et le grand paysage à travers la qualité des sols et des eaux, c’est-à-dire tout le réseau indirect impacté par les exploitations agricoles épandant du digestat. La perte physique des sols et leur perte en biodiversité pourraient faire machine arrière et c’est toute la complexité des relations écosystémiques impactée par les systèmes agricoles qui pourrait être modifiée. Cette complexité nécessiterait un travail de recherche à part.
Concernant l’énergie solaire, monsieur L. indiquait implanter les panneaux « côté sud dès que possible », mais, surtout, que pour lui et les associés de la SAS, la majorité des nouveaux bâtiments construits « ont une grosse partie dont les toitures sont volontairement orientées côté sud. »
Il en va de même pour monsieur C. pour son projet de 1300m² de panneaux solaires prévu pour 2023 et pour lequel un nouveau bâtiment a été « fait clairement pour le photovoltaïque », qui servira de stockage également mais qui est implanté plein sud et pensé pour le solaire.
Ces nouvelles pratiques ont un impact sur les paysages agricoles. D’une part, on peut s’attendre à ce qu’un bâtiment agricole dont un pan de toiture est orienté favorablement se couvre de panneaux solaires. D’autre part, la proportion de nouvelles constructions agricoles orientées en vue de recevoir des panneaux solaires devrait croître. Cela suggère que les pans de toiture les plus larges des nouvelles constructions agricoles feront de plus en plus face au sud. A noter que les panneaux solaires viennent s’installer sur du bâti agricole et qu’il ne semble pas envisagé d’installer des panneaux solaires proches du sol comme cela peut être fait par d’autres acteurs de la production d’énergie, l’activité de production d’énergie entrerait alors en concurrence directe avec l’activité agricole.
La multiplication des panneaux solaires dans les paysages agricoles vient bien sûr avec les effets paysagers propres aux panneaux : leur couleur, leur aspect et leur réflexion de la lumière. Regarder un paysage agricole depuis le nord ou depuis le sud pourra produire deux paysages très différents, notamment par la résonnance sensible que peuvent avoir les panneaux solaires au titre des tensions provoquées par le déploiement des EnR dans les territoires, « théâtres d’oppositions soutenues » dans plusieurs régions du monde, pour reprendre l’expression de Marie-José Fortin à propos des parcs éoliens (Fortin, 2014).
Dans cette sous-partie je tenterai de montrer en quoi les agriculteurs producteurs d’EnR ont un profil particulier tourné vers le progrès et l’entrepreneuriat, qui peut avoir des répercussions sur le groupe socio-professionnel dans son ensemble et sur les paysages agricoles à long terme.
Le profil de monsieur L. est parlant. Lors de l’entretien, il m’a confié être le plus petit exploitant de la SAS, avec seulement 5 hectares. Bien loin des autres associés, puisque les 28 autres exploitations possèderaient donc les 3195 hectares restants sur le total, soit une surface d’exploitation moyenne de 114 hectares par exploitation. Cet écart s’explique par le rôle moteur qu’a joué monsieur L. dans la constitution de la SAS et dans la construction du méthaniseur. Il faut garder en tête que monsieur L. est exploitant, mais est également élu de la commune de la Tessoualle, et semble familier avec le vocabulaire de l’entreprise et de l’entrepreneuriat, en témoigne l’usage de termes comme « business plan » ou « process ». Au cours de l’entretien, monsieur L. a aussi évoqué être parmi les projets de méthanisation les plus subventionnés, après être « allé chercher les subventions avec les dents ». On peut penser que sa position d’élu et le réseau qui y est attaché ont pu jouer un rôle dans ce subventionnement. En outre, son appétence pour les EnR est présente depuis un certain temps puisqu’il avait confié avoir été dans les premiers à monter des panneaux solaires, vers 2010, pour 170000€ d’investissement et d’en avoir ajouté quelques années plus tard.
C’est en fait un point commun avec monsieur C. qui a monté une première centrale solaire sur son exploitation en 2009 et qui possèdera 2150m² de panneaux solaires en 2023, dont la production énergétique sera entièrement revendue. Les deux interrogés, ayant joué un rôle moteur dans la construction des sites de méthanisation, ont tous les deux été pionniers dans la production d’EnR de leur région. En outre, l’un est élu dans une commune du territoire, l’autre cultive 150 hectares en GAEC avec ses deux frères, une surface agricole bien au-dessus de la moyenne du département.
En effet, une étude de disponible sur le site de la DRAAF[1] des Pays de la Loire publiée en février 2022 suite au recensement agricole réalisé en 2020 nous apprend que la surface agricole utile moyenne du département Maine-et-Loire est de 72 hectares, soit 16 hectares de plus qu’en 2010 et 34 de plus qu’en 2000.
[1]Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt des Pays de la Loire, Recensement agricole 2020 – Une très grande diversité de productions agricoles en Maine-et-Loire. Agreste Etudes n°02 – février 2022.
On apprend en outre que le nombre d’exploitations recule de 23% tandis que la SAU[2] totale valorisée par les agriculteurs diminue de moins de 1% depuis 2010 : moins nombreuses, les exploitations
s’agrandissent.
[2]Surface agricole utilisée
Il est intéressant de rapporter ces chiffres à ceux des exploitations concernées par les projets de méthanisation : la moyenne de surface agricole utile est de 100 hectares pour les associés de la SAS de la Séguinière, de 110 hectares pour les associés de la SAS de Maulévrier, et de 105 hectares en moyenne au total, bien au-dessus donc de la moyenne du département de 72 hectares. Malgré les dires des enquêtés, les chiffres sont probants et l’accès à la méthanisation semble réservé aux plus gros exploitants. Ce constat fait écho à l’article “Les agriculteurs face à la question énergétique : mythe de la transition et inertie du changement” déjà cité dans cette recherche :
Prenons un exemple significatif de ce processus de domination à partir d’un projet d’usine de méthanisation dans le centre de la France. […] Seules certaines exploitations ont pu bénéficier de la « bienveillance » des collectivités locales par le biais des subventions. Enfin, onze exploitations ont participé à ce projet pour une surface totale de 1 750 hectares, soit une moyenne de 159,1 hectares. Or, selon le recensement agricole de 2010, la surface moyenne des exploitations du département concerné est de 93,4 hectares (Amand et al., 2015).
La conclusion tirée de ce constat, et que mes cas d’étude corroborent, est que l’écart de surface est significatif du fait que les exploitations concernées par les projets de méthanisation « ont intériorisé le « jeu » de l’agrandissement, vécu comme nécessaire, au détriment des plus petites » (Amand et al., 2015). Cela renvoie à l’idée du « progrès » permanent de l’agriculture qui aujourd’hui participe à la transition énergétique en se tournant davantage vers une « croissance verte » que vers une « sobriété énergétique », pour reprendre les termes de l’enquête menée par Caroline Mazaud et Geneviève Pierre sur le territoire des Mauges (Mazaud et Pierre, 2019).
Les statistiques communiquées précédemment témoignent du phénomène d’éviction des petits agriculteurs au détriment des plus gros en Maine-et-Loire, dont une partie des mécanismes à l’œuvre derrière ce phénomène ont été évoqués en première partie, mais peuvent être complétés par l’entretien de monsieur C. dans lequel on comprend comment cela peut se passer de manière quasi « naturelle » avec l’arrivée de la méthanisation. En effet, on comprend cela quand monsieur C., interrogé sur les stratégies de remplacement des futurs retraités, informe qu’il y a priorité aux repreneurs avec un droit de regard des associés et la possibilité de dire non au cas où le repreneur ne rentre « pas dans le moule de la SAS » : on comprend là qu’une certaine continuité chez le repreneur est souhaitable et que la méthanisation n’est pas ouverte à tout le monde. « Rentrer dans le moule » semble signifier qu’on attend du repreneur le comportement de l’agriculteur précédent, conscient du « jeu » de l’agrandissement et engagé en ce sens.
Plus encore, comme évoqué dans la deuxième partie de cette recherche, monsieur C. a indiqué que deux départs à la retraite se préparaient et que ces départs n’auraient même pas à être gérés a priori, m’informant que les intrants des deux associés sortants seraient remplacés par plus d’intrants de la part des associés restants. C’est ainsi que les départs à la retraite profitent à l’expansion des agriculteurs encore en activité. Le phénomène prend de l’ampleur tant les départs à la retraite sont nombreux et les reprises rares : en France, en 2020, la moitié des exploitations étaient dirigées par au moins un exploitant de 55 ans ou plus, qui avait déjà atteint ou atteindrait l’âge légal de la retraite dans la décennie à venir (Agreste – Recensement agricole 2020). C’est donc a priori de manière inconsciente que monsieur C. donne là une clé de compréhension d’un facteur d’agrandissement des grosses exploitations. La relation nouvelle d’agriculteurs associés à une activité énergétique pourrait intensifier l’écart entre petites et grandes exploitations, les grandes saisissant directement les opportunités qui s’offrent au sein de la société qui les lie comme le montre l’exemple de la SAS de la Séguinière.
L’association d’exploitants autour d’un méthaniseur semble renforcer chaque membre du groupe dans la dynamique d’agrandissement de son exploitation. Cela passe par la communication, l’échange de conseils et la mutualisation de certaines tâches coûteuses d’une part et par l’investissement financier qui lie les exploitations à la SAS d’autre part.
En outre, le lien qui unit les exploitants concernés à travers des objectifs chiffrés précis, suivis et communs joue également un rôle important. En effet, sur ce dernier point, l’exemple du tableur Excel utilisé par la SAS de Maulévrier et cité dans la partie précédente est probant : les exploitations sont finalement des productrices d’intrants, intrants qui sont pesés, catégorisés puis insérés informatiquement dans un tableur Excel pour être traduits en valeur et donner droit à une quantité précise de digestat en retour. De même, la répartition des parts sociales a été faite au prorata des mêmes valeurs d’apport de ce tableur Excel.
En somme, cette informatisation peut être facilement assimilable à une mise en compétition par les chiffres pour les exploitants : plus on fait grimper la valeur de ses apports dans le fichier Excel et plus on sera récompensé. De plus, la connaissance précise de la valeur apportée par les autres exploitants peut influencer le comportement des individus au sein du groupe, simplement par le fait que ces chiffres permettent indirectement de classer sa valeur d’apport par rapport à celle des autres associés.
L’influence du groupe et la virtualisation de l’activité agricole par le tableur Excel qui peuvent amener un climat de compétition au sein des associés vont dans le même sens : ce sont des facteurs qui homogénéisent la catégorie d’agriculteurs que forment les gros exploitants, renforçant leurs liens et leur appétence pour la croissance permanente, évinçant à la longue les exploitations du conventionnel qui n’ont pas pris le train en marche.
Les conséquences de ce phénomène sur les paysages agricoles sont fortes. Il y a une réorganisation parcellaire permanente au profit de parcelles de plus en plus grandes. Dans le cas du territoire bocager étudié, l’augmentation des surfaces cultivées peut impliquer des réorganisations bocagères et la modification du maillage actuel avec une superficie bocagère plus faible et un maillage moins serré. Cependant, les phénomènes de déprise, les pratiques de l’agriculture non conventionnelle et les politiques publiques peuvent contrebalancer ce point.
Dans cette sous-partie nous verrons comment les politiques publiques françaises liées à la production d’énergie dans le milieu agricole cadrent les pratiques agricoles, avec à la fois des incitations et des freins.
Les deux cas étudiés commencent avec un facteur externe qui semble déterminant dans la constitution des groupes et des projets. Monsieur C. évoque la « directive Nitrates de 2013 – 2014 » qui obligeait les exploitants à mettre leurs fosses à lisier aux normes, dans le but de réduire la pollution des eaux par les nitrates et l’eutrophisation issus des activités agricoles. Quant à lui, Monsieur L. évoque le captage Grenelle et la quantité trop importante de phosphore des eaux captées causée par les activités agricoles locales.
Cette « pression environnementale » incite les acteurs du territoire à se réunir et à trouver des solutions collectives aux problèmes communs, comme l’adoption d’un projet d’EnR. Cette adoption comme réponse à un problème commun est un des constats qui avait été cité en première partie et argumenté par Laure Dobigny, et c’est un des facteurs d’explication de la porosité entre les EnR et le monde agricole. Dans les deux cas d’étude, la méthanisation apparaissait comme une issue avantageuse, répartissant le problème et la solution entre les associés et permettant de dégager un revenu à terme.
La possibilité de la méthanisation était d’autant plus envisagée qu’elle s’accompagnait de subventions publiques généreuses. Pour le site de La Séguinière, monsieur C. et ses associés ont reçu un peu plus de 1,6 millions d’euros pour un investissement de 6,5 millions, soit presque 25% du projet. Pour le site de Maulévrier, c’est 2 millions d’euros soit 20% des 10 millions d’euros du projet. Les institutions ayant distribué des subventions sont l’ADEME, l’agence de l’eau, le FEDER[3], la région Pays de la Loire, avec la participation la plus forte provenant de l’ADEME dans les deux cas.
[3] Le fonds européen de développement régional
Monsieur L. a également évoqué la compensation collective agricole : dès qu’il y a plus de 3 hectares urbanisés dans une commune, que ce soit une zone industrielle, artisanale ou un lotissement, 1 euro du m² revient à un projet collectif agricole. La SAS s’est ainsi positionnée pour un projet de zone artisanale de 23 hectares pour laquelle elle espère donc recevoir 230000€ de subvention du Choletais.
L’éolien et le solaire font également l’objet d’incitations par des subventions et des prix de rachat fixes pour l’énergie produite. Dans le milieu agricole, les garanties d’achat à prix fixes sont d’autant plus incitatives qu’elles permettent d’estimer à peu près un revenu fixe qui vient en complément ou en support d’une activité agricole instable et aux prix fluctuants. En outre, le cas est valable pour l’autoconsommation, dans le sens où l’énergie produite et consommée vient contrebalancer les aléas des prix de l’énergie.
Toutes ces incitations jouent un rôle difficilement quantifiable mais non moins important dans le déploiement des EnR sur le territoire français et dans le milieu agricole. Les incitations mentionnées ici sont de nature financières et attrayantes car elles concernent des activités qui offrent des revenus à terme, potentiellement stables et potentiellement importants, comblant ainsi l’instabilité des revenus agricoles.
Nous l’avons évoqué précédemment : la couverture des sols est obligatoire en France dans certaines zones selon les problématiques territoriales. Cette couverture transforme les paysages agricoles, et la transition énergétique vient les impacter à son tour, en modifiant la nature de la couverture avec une forte présence de CIVE.
Dans un paysage bocager comme celui étudié, la production d’EnR pourrait bouleverser en profondeur tout un système paysager et agricole comme l’illustre le cas allemand. Cependant, les politiques publiques freinent fortement les dérives envisageables.
Au cours de l’entretien, monsieur C. a évoqué la PAC qui interdit strictement, entre autres, l’arrachage de haie sans motif précis et validé par la DDT[4], une action qui pourrait être envisagée dans le cadre d’un changement de pratique sur la parcelle, de plantations de nature différentes à vocation énergétique par exemple. Cependant, comme nous l’argumentions dans la sous-partie précédente, le phénomène d’agrandissement des parcelles et d’éviction des petits agriculteurs qui semble être en cours en France peut modifier le maillage bocager, en cela que le rassemblement de deux parcelles en une constitue un des cas dérogatoires de déplacement/arrachage de haies (voir annexes), pour reconstituer un pourtour bocager unique.
[4] Direction départementale des Territoires
L’influence des politiques publiques sur la production d’EnR commence bien avant la production à proprement parler. Monsieur L. évoque par exemple les contrôles réalisés au préalable du projet et les travaux compensatoires menés sur le site pour être aux normes environnementales. Bien sûr, le site de méthanisation est soumis à des contrôles réguliers et à des normes de sécurité strictes, mais la partie qui nous intéresse concerne les influences des politiques publiques sur les pratiques agricoles ayant un impact paysager.
La loi la plus restrictive et dont le rôle sur les paysages est le plus fort, bien que l’aspect paysager ne soit pas mentionné, est la loi « des 15% », dont les articles D. 543-291 à D. 543-293 du code environnemental sont consultables en annexes. Elle concerne les méthaniseurs et limite à 15% les intrants en culture dédiée. Elle empêche la reconversion des agriculteurs en « énergiculteurs », cultivant du maïs ou toute autre culture avec pour seul but d’alimenter un méthaniseur, ou en agriculteurs passant complètement d’une filière à une autre, avec tout ce que cela implique de transformations paysagères locales et d’impacts sur les écosystèmes. Cette loi participe à la conservation des spécificités agricoles territoriales et est un frein important à la transformation des paysages agricoles français. Le cas allemand est un exemple de dérive possible en l’absence de restrictions publiques.
Dans une moindre mesure et toujours concernant la production de gaz, les certificats verts et la future certification RED II évoquée par monsieur L. peuvent influencer les pratiques agricoles puisque ces certificats sont des incitations monétaires, valorisés plus ou moins en fonction de la nature des intrants : ces certificats peuvent inciter à changer la nature des intrants ou à en modifier les proportions en ajustant les quantités produites.
Ces restrictions et ces incitations semblent jouer un rôle majeur dans les changements paysagers agricoles, ou dans l’absence de ces changements. Ce n’est pourtant pas un point sur lequel les interrogés insistent : selon eux, le désir de méthanisation agricole et l’envie de conserver leur activité historique de polyculture élevage empêchent toute dérive et la production d’énergie restera toujours « secondaire, voire marginale » dans la région.
Sans remettre en cause la bonne foi des interrogés, certains sujets abordés ou certaines remarques semblent indiquer le contraire.
Un cas anecdotique mais qui montre l’influence concrète d’une réglementation sur une pratique agricole : le plus petit éleveur bovin de la SAS de Maulévrier a 49 vaches pour rester en dessous du seuil de classification ICPE qui est fixé à 50 vaches. Cet éleveur a donc décidé de s’en remettre à ce facteur extérieur pour guider sa pratique. En l’absence de toute régulation, on peut aisément penser que le nombre de bovins sur son exploitation serait plus élevé. Le paysage généré par ses activités est indirectement cadré par la classification ICPE.
Monsieur L. a quant à lui a montré l’influence que peuvent avoir les incitations sur son comportement : lorsqu’il évoquait son premier investissement photovoltaïque, il m’a confié regretter de ne pas avoir investi plus à l’époque, car les contrats de rachat étaient bien plus attractifs qu’aujourd’hui. C’est également révélateur des motivations qu’ont les exploitants à produire de l’énergie, et qui a été formulé clairement par les interrogés, et déjà évoqué précédemment : l’aspect économique. Partant de là, et après avoir montré comment les exploitants agricoles du conventionnel se lançant dans la production d’énergie ont un profil particulier, ont bien intégré les besoins de « progrès » permanent pour leur survie financière, il apparait clair que, sans garde-fou, l’agriculture française se trouverait modifiée en profondeur en adoptant le modèle le plus viable économiquement, à l’instar de son voisin allemand.
Aujourd’hui déjà, monsieur L. racontait comment certains exploitants tentent des dérives avec la loi « des 15% », en inversant cultures principales et cultures intermédiaires afin d’obtenir plus de revenus de la méthanisation : si le taux de 15% de culture dédiée était ramené à un pourcentage plus élevé, il n’y a pas de raisons qu’un certain nombre d’acteurs s’en saisissent, et que les mécanismes de la compétition conduisent petit à petit à ce que le plafond de la loi devienne la norme.
Cette partie a révélé certains changements paysagers en cours dans le monde agricole : l’apparition des cultures intermédiaires à vocation énergétique, la disparition des tas de fumier, le remplacement progressif des engrais chimiques par le digestat avec des conséquences potentielles à grande échelle liées à la qualité des sols et des eaux. Elle a aussi montré comment la transition énergétique peut révéler et amplifier les mécanismes structurels à l’œuvre dans le monde agricole et les transformations paysagères que cela implique à long terme, notamment avec le phénomène d’éviction des petits exploitants au profit des plus grands. Enfin, nous avons essayé de montrer comment ces transformations sont incitées ou freinées par les politiques publiques, garde-fous des dérives à grande échelle.
L’énergie est de nouveau visible dans nos campagnes et les agriculteurs s’emparent d’une partie de sa production, modifiant quelque peu leurs pratiques agricoles. Ces modifications se retrouvent dans les paysages à différentes échelles, constituant les empreintes de la transition énergétique sur le territoire français. Toutes ces évolutions peuvent être maîtrisées par les politiques publiques : elles jouent un rôle majeur dans la conduite de la transition énergétique par des actions incitatives ou, à l’inverse, en empêchant les dérives grâce à des lois restrictives qui empêchent les transformations profondes des paysages comme cela a pu être observé outre-Rhin.
Ce travail de recherche a permis de mettre en lumière les diverses traces que la production énergétique des agriculteurs laisse sur les paysages que leurs pratiques impactent, comme la disparition des tas de fumier, l’orientation changeante des nouvelles constructions ou l’apparition de cultures à vocation énergétique. En suivant ces traces, on découvre les effets sous-jacents de la transition énergétique comme la disparition progressive des engrais chimiques au profit du digestat dont les impacts sur la qualité des sols et des eaux reste encore à prouver mais dont les conséquences en cascade pourraient se répercuter sur l’ensemble des paysages français. L’enquête a également révélé le profil particulier des agriculteurs participant à la production d’énergie, exploitant des surfaces plus grandes que la moyenne, participant consciemment ou non aux mécanismes d’éviction des petits exploitants, renforçant ainsi les disparités du monde agricole.
Tous ces constats constituent des éléments de réponse à la problématique, mais leurs mesures sont difficilement quantifiables tant ce sont des processus nouveaux et changeant rapidement. Toutefois, les modifications des pratiques agricoles sont déjà bien visibles sur le territoire et semblent n’être que les prémices des changements à venir.
Concernant l’hypothèse que plus le convertisseur énergétique est une source de revenus complémentaire, plus il bouleverse les pratiques agricoles et plus cela est visible, la réponse est complexe et difficilement objectivable car il faudrait expliquer comment on détermine qu’une chose est plus visible qu’une autre. Cependant, ce que l’on peut dire, c’est que l’état de l’art et l’enquête de ce travail de recherche ont montré à plusieurs reprises que la motivation première des agriculteurs engagés dans la transition énergétique est de nature économique. Ainsi, il en va que plus une production énergétique est attractive financièrement, plus les agriculteurs semblent s’en saisir, et plus l’activité de producteur d’énergie prend le pas sur l’activité d’exploitant avec des bouleversements potentiels du paysage des exploitations. L’analyse a également montré que ces transformations paysagères étaient fortement cadrées par les politiques publiques.
En outre, cette enquête a révélé que le méthaniseur était le convertisseur énergétique qui a le plus modifié les pratiques agricoles des exploitants interrogés, sans parler de paysage. Cela répond favorablement à l’hypothèse que plus le convertisseur est inséré dans la structure de production agricole, plus il engendre des modifications des pratiques agricoles.
Bien sûr, il ne faut pas oublier que ce travail est limité spatialement et que les conclusions concernent un groupe restreint d’exploitants évoluant dans un système spécifique de polyculture élevage. En outre, ce travail manque de données sur la production d’énergie via les éoliennes et les modifications de pratiques qu’elle entraine chez les agriculteurs.
Il serait intéressant de transposer ce travail à une région céréalière forte de démarches énergétiques mais dans laquelle les pratiques agricoles sont différentes, ceci afin d’analyser les points communs et les divergences avec le présent travail et pour compléter le tableau.
Pour aller plus loin, on pourrait étudier la question de la pertinence de l’investissement que demande la méthanisation et qui engage à long terme un certain type de pratiques agricoles potentiellement menacées dans une époque changeante où la flexibilité face au dérèglement climatique semble de mise, et comment des aménagements paysagers pourraient contrebalancer ce problème.
On pourrait également questionner les dérives agricoles de cette transition énergétique dans le sens où elle s’apparente plutôt à de la « croissance verte » qu’à de la « sobriété énergétique », et s’interroger sur ce qu’une exploitation sobre en énergie produit comme paysage.
Il existe des dispositions prévues pour permettre dans certaines conditions, le remplacement, le déplacement ou la destruction des haies. conditionnalite 2021 fiche technique bcae7 particularites topographiques (format pdf - 138.8 ko - 03/05/2022)
Avant toute intervention sur une haie, une demande de dérogation auprès de la DDT est nécessaire.
Attention, la déclaration d’arrachage de haie auprès de la DDT ne vaut pas autorisation au titre d’autres réglementations en vigueur, notamment le Code de l’environnement ainsi que ceux du patrimoine, de la santé publique, de l’urbanisme ou le Code rural.
Cela est possible dans le cadre :
- d’une création d’un nouveau chemin d’accès rendu nécessaire pour l’accès et l’exploitation de la parcelle, la largeur du chemin n’excédant pas 10 mètres,
- d’une création ou d’un agrandissement d’un bâtiment d’exploitation justifié par un permis de construire,
- d’une gestion sanitaire de la haie décidée par l’autorité administrative (éradication d’une maladie de la haie),
- de défense de la forêt contre les incendies (décision administrative),
- d’une réhabilitation d’un fossé dans un objectif de rétablissement d’une circulation hydraulique,
- de travaux déclarés d’utilité publique (DUP),
- d’opération d’aménagement foncier avec consultation du public, en lien avec des travaux déclarés d’utilité publique ; l’opération doit faire l’objet d’un conseil environnemental par un organisme reconnu dans l’arrêté ministériel relatif aux règles BCAE
Cela est possible si :
- déplacement dans la limite de 2 % du linéaire de l’exploitation ou de 5 mètres par campagne ; dans ce cas uniquement, il n’est pas attendu de déclaration préalable auprès de la DDT,
- déplacement pour un meilleur emplacement environnemental de la haie, justifié sur la base d’une prescription dispensée par un organisme reconnu dans l’arrêté ministériel relatif aux règles BCAE,
- déplacement de haies ou parties de haies présentes sur (ou en bordure de) parcelles ayant fait l’objet d’un transfert de parcelles entre l’exploitation concernée et une autre exploitation (par exemple : agrandissement de l’exploitation, installation d’un nouvel agriculteur reprenant partiellement ou totalement une exploitation existante, échanges parcellaires…), avec réimplantation sur (ou en bordure de) la (ou l’une des) parcelle(s) portant initialement la (ou les) haie(s), ou ailleurs sur l’exploitation s’il s’agit de déplacer une haie formant une séparation de deux parcelles contiguës pour regrouper ces deux parcelles en une seule nouvelle parcelle ; le déplacement de haie doit avoir été réalisé dans les douze mois suivant le transfert des parcelles.
Est considérée comme culture principale toute culture remplissant au moins l'une des conditions suivantes :
1° Unique culture récoltée sur une parcelle au cours d'une année civile ;
2° Culture déclarée comme culture principale dans une demande d'aide relevant d'un régime de soutien relevant de la politique agricole commune ;
3° Culture récoltée sur une parcelle pour laquelle aucune demande d'aide relevant d'un régime de soutien relevant de la politique agricole commune n'a été faite pour l'année de récolte ;
4° Culture présente sur la parcelle au 1er juin, ou, le cas échéant, à une autre date comprise entre le 1er juin et le 15 juin, définie par le représentant de l'Etat dans le département, au regard des spécificités climatiques et des pratiques culturales ;
5° Culture pérenne mentionnée à l'article R. 411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime ou culture cultivée sur une parcelle sur laquelle une culture pérenne est implantée.
Plusieurs cultures principales peuvent être récoltées sur une même parcelle au cours d'une même année civile.
Les cultures intermédiaires désignent les cultures cultivées sur le territoire de l'Union européenne qui ne sont pas des cultures principales et qui sont semées et récoltées sur une parcelle entre deux cultures principales récoltées sur une année civile ou deux années civile consécutives.
Par dérogation aux alinéas précédents, la biomasse récoltée sur une prairie permanente ou une zone tampon enherbée ne constitue pas une culture principale.
Les installations de méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes peuvent être approvisionnées par des cultures principales dans une proportion maximale de 15 % du tonnage brut total des intrants.
Pour les installations de production de biométhane injecté dans un réseau de gaz naturel, commercialisé ou consommé, mises en service après le 1er janvier 2017, la proportion maximale de cultures principales est applicable pour chaque lot de biométhane mentionné à l'article R. 446-1 du code de l'énergie.
Pour les autres installations de méthanisation mises en service après le 1er janvier 2017, la proportion maximale de cultures principales est applicable au tonnage brut total des intrants utilisés sur les trois dernières années.
Il peut être dérogé aux dispositions de l'article D. 543-292 pour l'approvisionnement des installations de méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes par des cultures alimentaires ou énergétiques cultivées à titre de cultures principales provenant de zones reconnues contaminées, notamment par des métaux lourds, et définies par arrêté préfectoral relatif à des restrictions d'utilisation et de mise sur le marché pour raisons sanitaires des productions agricoles végétales issues de ces zones contaminées.
La dérogation est accordée dans les conditions fixées par les articles R. 512-31, R. 181-45 ou R. 512-52.