« le paysage constitue un élément essentiel du bien-être individuel et social, [...] sa protection, sa gestion et son aménagement impliquent des droits et des responsabilités pour chacuns » extrait de la Convention du Conseil de l’Europe sur le Paysage, 2000, Florence
Le soin de la santé mentale s’est longtemps pensé par l’enfermement des personnes jugées «déviantes» en dehors d’un paysage commun. Pendant des siècles, les pratiques et les lieux de soins se sont construits sur le modèle de la contention, de la surveillance et de la privation de liberté des «fous» par les institutions qui en étaient en charge, et restent encore aujourd'hui associés au modèle asilaire développé au cours du XIXème siècle. Pourtant, les politiques de santé publique tentent depuis les années soixantes de banaliser le soin de la maladie mentale, notamment en instaurant la psychiatrie de secteur. Ce nouveau système de santé veut rompre avec un modèle hospitalo-centré en ouvrant l’offre de soin sur l’ensemble d’un territoire via la favorisation des soins ambulatoires et la multiplication des structures et méthodes de soin alternatives à l’hôpital. L’objectif est multiple : il permet d’une part de faciliter l'accès au soin de la maladie mentale en ne le réduisant plus aux murs stigmatisés de l’hôpital, et il permet d’autre part de faire des économies sur les hospitalisations en ne les proposant qu’en dernier recours.
Parallèlement à cette mutation du traitement de la «folie», les villes s'étendent dans la deuxième moitié du XXème siècle, amenant ainsi à réintégrer les hôpitaux de psychiatrie dans les tissus urbains des villes, alors même que les asiles étaient originellement construits à l'écart des villes pour trouver un cadre favorable à au bien-être des patients. Si le désenclavement des site hospitalier parait souhaitable, il amène cependant à banaliser un paysage qui était autrefois pensé pour favoriser l'apaisement des patients.
Récemment, l'enjeu d’ouverture des institutions psychiatriques s’est par ailleurs renouvellé par la mise en place de lois en faveur de l’ouverture de l’hôpital sur la cité, dans ce que le terme revêt de politique, spatial, culturel et social. Cette nouvelle politique de la ville et de la santé se traduit concrètement au sein des sites hospitaliers par l'accueil d’événements culturels ouverts aux publics de la ville ou encore par le mimétisme volontaire du vocabulaire urbain dans les aménagements paysagers, dans l’idée de réduire encore davantage la distinction entre l’intérieur et l’extérieur de l’hôpital.
Indirectement, le droit de cité pose aussi la question du pouvoir de décision des patients sur leur cadre de vie. C'est en s'attachant sur cet aspect et en écoutant le discours des patients que l'on peut finalement se rendre compte d'une dissonance entre les besoins exprimés par les personnes qui font usage de ces lieux de soin, et les initiatives menées par celles et ceux qui les gèrent : si les institutions psychiatriques favorisent la banalisation du lieu de soin, les patients expriment la nécessité de trouver un lieu préservé, calme et végétalisé, favorable au bien-être et à la rémission. Cette contradiction révèle un point saillant de l'enjeu d'ouverture de l'hôpital : en ne prenant pas en compte les besoins spécifiques des patients dans leurs procédures d’aménagement, les institutions perpétuent finalement un modèle où le lieu de soin se fabrique par l’institution et s’impose aux patients.
C’est suite à ce constat que ce projet prend place, dans l'idée de questionner les zones d'ombres inhérentes à l'ouverture des institutions psychiatriques sur le milieu ordinaire, et avec la volonté de faire émerger de ce raisonnement des solutions potentielles. Convaincu que le paysage joue un rôle majeur dans la manière d’être ensemble, et que l’aménagement paysager peut être une réponse participant à la résolution de questions sociales et politiques, ce projet s’attache donc à rechercher des moyens que l’hôpital pourrait mettre en place pour ouvrir son site à la ville tout en garantissant le bien-être des personnes y séjourant. Ainsi, c'est avec l'exemple du Centre Hospitalier Charles Perrens à Bordeaux que cette recherche paysagère a été menée, un site construit à la fin du XIXème siècle, qui doit aujourd’hui composer avec les traces de son histoire pour parvenir à la renouveller.
Le parc de l'hôpital tel qu’il est aménagé et géré actuellement ne permet ni d’ouvrir l’hôpital sur son environnement, ni de répondre de manière optimale aux usages divers des patients : il semble alors que sa requalification soit nécessaire. Pour formaliser cette intention, la stratégie adoptée est de tirer parti de l’aspect fragmenté du site pour séquencer le parc en différentes ambiances, par une différenciation du traitement du végétal et de sa gestion, et à partir des potentialités du site pré-existantes. Par les aménagements paysagers, le parc s’organise en un réseau de jardins aux proportions de l’intime, proposant une transition entre l’espace clos de l’unité d’hospitalisation et les espaces publics du parc et du quartier. Ces jardins s’appuient sur les circulations principales et invitent à des parcours alternatifs. D’autre part, une traversée «tout public» se dessine à travers le site, guidée par un fil rouge de placettes mimant un vocabulaire urbain. Cette traversée urbaine facilite l’inclusion du centre hospitalier dans le quartier et le partage du parc avec la ville.
In fine, l’aménagement permet au Centre Hospitalier Charles Perrens de gagner en qualité paysagère et écologique, ce qui présente un intérêt notable autant à l’échelle du quartier qu’à celle de l’hôpital. Aménagé, animé et géré collectivement, le parc du Centre Hospitalier Charles Perrens présente alors le potentiel d'être un outil de médiation permettant d’encadrer l’ouverture de l’hôpital tout en préservant le besoin d’intimité des patients et leur droit de cité.