Le lieu exact du projet et le projet en soi n'ont pas vraiment d'importance. Bien que cette phrase soit à peu près toujours fausse, elle parait pertinente pour ce projet, a posteriori.
Ce qui importait, c'est ce que ce projet permettait de dire sur la métropole bordelaise en particulier et sur les métropoles en général. Parler d'une friche au sein d'une métropole n'est pas la même chose que de parler d'une friche en milieu rural, et parler d'une friche au sein d'une métropole en 2022 n'est pas la même chose que de parler d'une friche au sein d'une métropole en 1970.
En 2022, les métropoles ont chaud, elles manquent de jardins, de parcs, de squares... en bref de lieux avec du vivant qui fait de l'ombre, qui transpire et qui rafraichit. Heureusement, dans leur développement, elles glissent des curiosités dans leurs interstices : la friche Villenavaise est une de ces curiosités. Et ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler un interstice puisqu’elle fait 36 hectares (dont 13 accessibles).
Seulement, voilà, à l'heure du projet, elle se faisait déjà grignoter dans sa partie nord par des initiatives privées, qui, sans surprise, la couvraient de béton. De même qu’on y voit seulement du gris pour le paysage, ces mêmes entrepreneurs voyaient en la friche sûrement que de la verdure. Question de couleur et de point de vue surement, mais l’ignorance est plus préjudiciable d’un côté que de l’autre : si le gris venait à stopper sa propagation dans nos paysages, grand bien nous fasse ; si le vert quitte nos paysages, nous le quitterons avec.
En parallèle de cela, ce projet permettait de souligner qu’au moment de sa conception, soit en 2022, c’est aussi le moment où la métropole bordelaise a pour projet de planter 1 million d’arbres et où les termes de désimperméabilisation, de biodiversité, d’ilots de chaleur n’ont jamais été autant répétés dans la commande publique de la métropole bordelaise et de plusieurs métropoles en France, en Europe et ailleurs. Il apparaissait alors pertinent de commencer par conserver les arbres existants avant d'en planter 1 million, de conserver la biodiversité là où il y en a, de préserver les ilots de fraicheur là où ils sont.
Particulièrement dans des lieux comme cette friche où les arbres évoluent librement depuis plusieurs années voire décennies, où ils fonctionnent en réseau, en milieux, avec des formations arborées de plus de 30 mètres de haut.
Dans ce contexte, ce projet de friche devait surtout être un projet d'accompagnement et de sauvegarde, avec en arrière-plan l’influence du concept du tiers paysage de Gilles Clément.
Les objectifs de ce projet étaient donc de marquer la friche dans l'espace public afin de la faire exister pour la préserver. Pour cela, l'angle d'attaque choisi fut la ronce, omniprésente et jouant un rôle déterminant dans l'organisation de l'espace et du paysage de cette friche. Choisir la ronce qui est une espèce éradiquée des jardins permettait d'indiquer d'où on parle et où on porte son regard. L'idée était d'utiliser le déjà-là, le faire avec et d’ouvrir cette friche au public. Ainsi, la friche deviendrait un parc, avec un nom : le parc d'Hourcade1, et serait à la fois une façon de conserver l'espace de la friche en la rendant fréquentée et aimée, et de faire changer le point de vue des visiteurs du parc sur la ronce.
1Toponyme du site ferroviaire de triage adjacent à la friche. En regardant l’étymologie, Hourcade est une variante de Fourcade, qui vient de l’occitan et qui signifie fourche. Les dents de la fourche aux extrémités pointues peuvent s’apparenter aux épines de la ronce, c’est pourquoi il était intéressant de conserver ce nom.
Une des idées qui a dessiné la matérialité du projet a pour source la préface d'Alain Brossat dans le livre d’Olivier Razac, Histoire politique du barbelé.
Il synthétise par une série de verbes à l’infinitif les « opérations virtuelles ou actuelles » du barbelé : délimiter ; séparer ; isoler ; enclore ; exclure ; repousser ; empêcher ; interdire ; dissuader.
Ces verbes sont transposables (et transposés) à la ronce, et on peut les utiliser pour faire projet.
On peut aussi les penser en négatif, ou les compléter pour leur faire dire autre chose.
Ainsi, le projet a pu se composer en complétant la liste des antonymes et des associations de verbe suivants : dégager ; regrouper ; joindre ; déclore ; inclure ; accueillir ; aider ; autoriser ; encourager ; isoler pour protéger ; exclure pour mettre en scène ; repousser pour guider ; dissuader pour s’affranchir.
Tous ces verbes et associations de verbes ont formé la matière première du projet de ronce, en utilisant les différentes propriétés de celle-ci ainsi que plusieurs espèces et variétés afin de montrer la richesse de cette plante mal aimée.
Le résultat est présenté ci-dessous avec cinq lieux témoignant des contrastes de rendu : 1/ l’entrée du parc où on retrouve la ronce sous une forme palissée (ACCUEILLIR) ; 2/ les berceaux où la ronce pouponne la forêt : poésie de la friche armée (AIDER, ENCOURAGER) ; 3/ la ronce sous une forme inerte pour illustrer son utilisation en vannerie (INTRIGUER); 4/ une clairière découpée par des lanières de ronce (SÉPARER, CACHER) ; 5/ une scénographie pensée pour les mois d'hiver avec la ronce du Tibet et ses tiges blanches associée à d'autres espèces remarquables en hiver (REGROUPER, INCLURE).