Voici comment le philosophe et professeur en histoire de l’architecture Sébastien Marot commente le tableau de Nicolas Poussin représentant Athènes et sa campagne au IVème siècle avant notre ère, dans son article l’Alternative du Paysage (Le visiteur, 1995) :
« Ce qui ne peut manquer de nous frapper, c’est combien ces paysages canoniques dans notre imaginaire ont été recouverts par la réalité. A l’endroit idéal où le peintre invitait le spectateur à se placer, celui des banlieues, ni la ville ni la campagne ne sont aujourd’hui visibles. Là où le site semblait à la fois distinguer et accorder les diverses activités humaines, […] quelque chose d’autre s’est produit où il n’est plus si facile de s’orienter ».
Ce constat est particulièrement pertinent pour parler d’Agen et de sa périphérie.
Dans la perspective représentant la ville en 1648 (soit la même année où Nicolas Poussin finissait son tableau d’Athènes) Agen a une configuration simple : la ville est délimitée par ses remparts et laisse le paysage facilement lisible. Les logiques défensives concentrent les villes dans leurs enceintes et les activités se font au plus proche d’elles.
Mais voilà, aujourd’hui, Agen, ville riche de deux mille ans d’histoire, a défiguré son territoire. En érigeant une voie sur berge en barrière entre la ville historique et la Garonne, en développant des constructions et infrastructures routières tous azimuts, la ville a tourné le dos à son fleuve et menace son patrimoine.
Partant de là, comment s’insérer dans la morphologie urbaine actuelle pour redonner le paysage à lire et la Garonne à voir et à vivre ?
Il a fallu dé-zoomer dans un premier temps, afin de trouver une échelle ayant une logique paysagère, c’est-à-dire incluant la ville dans son ensemble, les communes périphériques, les coteaux nord et sud de la Garonne, la grande plaine alluviale dans laquelle elle circule et les plaines agricoles d’expansion de ses crues.
Dans un second temps, il fallait retisser du lien à cette échelle.
Ainsi, le projet final est fait de propositions à divers degrés d’intervention et de complexité :
Il y a des lieux où il ne faut rien faire, si ce n’est conserver le rôle : ce travail est la base d’une décision politique de protection des lieux en les classant par exemple comme habitats d’intérêt communautaire.
Il y a une réflexion sur les plaines agricoles, en lien avec la détérioration de la qualité de l’eau et la prolifération de plantes aquatiques qui colonisent certains habitats. La protection de l’eau passe par une remise en question des pratiques anthropiques au-delà des berges de la Garonne. D’où une réflexion sur l’évolution potentielle du territoire dans la mesure où l’agglomération d’Agen et les décisionnaires politiques mettraient autant que faire se peut leur énergie à déployer la transition agricole et à encourager l’installation d’agriculteurs aux pratiques résilientes sur le territoire.
Il y a des stratégies concernant les modes de déplacement, avec pour but d’obtenir une boucle de déplacements doux complète à proximité des berges. En sous-texte il faut comprendre que cela signifie moins de place pour la voiture en bord de Garonne.
Enfin, des interventions plus détaillées ont été réfléchies au niveau des berges à enjeux patrimoniaux, au niveau de la promenade du Gravier, de la prairie située en-dessous du pont canal et au niveau du linéaire qui connecte ces deux espaces. Il s'agit de retrouver des rythmes apaisés au plus proche de la ville et de la Garonne, pour redonner aux Agenais.es la joie de côtoyer Garonne1.
1 Les Agenais et Agenaises personnifient depuis longtemps la Garonne en l’appelant simplement Garonne, témoignant de leur attachement au fleuve.